Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Certaines personnes envient ma productivité. « T’es éditeur, mais tu trouves aussi le temps pour écrire des livres et des chroniques. Wow ! Comment t’arrives à faire tout ça ? » Voici l’occasion de répandre ma sagesse, de dévoiler tous mes secrets.

Ma routine est assez simple : d’abord, réveil à 5 h, douche glacée, longue marche dans les bois avec le chien. Ensuite, je m’installe à ma table de travail devant la grande fenêtre du chalet, celle avec vue sur le lac, avec mes deux litres d’eau citronnée, que je bois avant le dîner. De 6 h à midi, je travaille sans relâche. Ensuite, je... Attends. Est-ce que tu prends vraiment des notes dans un calepin, là ? Arrête tout de suite ! J’ai menti. Je ne fais rien de tout ça. Je n’ai pas de chalet. Mon chien s’essouffle en 15 minutes et, le matin, je n’arrive pas parmi les vivants avant d’avoir bu mon café. Aussi, et ce détail me semble assez important : je ne me trouve pas plus productif qu’un autre. Bien au contraire. Je suis la plupart du temps convaincu que je n’ai pas abattu assez de travail dans ma journée.

Fut une époque où j’étais travailleur autonome et célibataire, sans enfant et sans chien (qui demande fréquemment de sortir parce qu’un de ses amis canins a laissé un pipi sur un arbuste tout près et que c’est important d’aller le sentir sans tarder). Je pouvais donc travailler sept jours sur sept, et les soirs aussi. Et, parfois, c’est ce que je faisais. J’avais tout de même cette impression de ne pas travailler assez.

Je voyais des collègues publier un roman par année alors que je n’en publiais qu’un tous les trois ans. Je me trouvais anormal d’être si lent, de laisser tant de sources de distraction me voler mon précieux temps, alors qu’eux semblaient avoir une discipline inflexible et des secrets de productivité que j’ignorais.

En fouillant, je les ai découverts, ils sont assez simples, et, à peu de choses près, toujours pareils d’un livre à l’autre :

1. Écris une liste de choses à faire, par ordre de priorités, et fais-les.

2. Détruis le routeur WiFi et brûle ton téléphone.

3. Fais une chose à la fois ; le multitasking ne fonctionne pas.

4. Applique la méthode Pomodoro (25 minutes de travail sans relâche, 5 minutes de pause, et on recommence).

5. À la fin de ta journée, planifie celle du lendemain.

Tu veux être encore plus productif ? Bonne nouvelle : tu peux. La question importante à te poser, c’est pourquoi tu veux l’être. Si tu te demandes si tu travailles suffisamment, c’est probablement le cas. Les gens paresseux ne se posent sans doute même pas la question. Ton réel besoin n’est peut-être pas d’être encore plus productif, mais d’être plus reposé.

Oui, tu veux voyager, te remettre en forme, perdre du poids, cuisiner plus et mieux, écrire tes mémoires, courir un marathon, parler six langues, tenir un potager, venir à bout de ta pile de livres à lire, réussir à te mettre les jambes derrière la tête grâce au yoga, devenir une vedette sur TikTok, être un artiste pour pouvoir faire ton numéro, mais est-ce que tout ça doit vraiment se faire avant dimanche prochain ? À quand remonte la dernière fois où tu as regardé dans le vide sans rien faire ? Plus que deux minutes, là, sans sortir ton téléphone de ta poche pour gérer quelques courriels, organiser ton horaire ou envoyer des textos ? Moi, c’était probablement quelque part en 2016.

Je dois me le répéter constamment : mon problème n’est pas un manque de productivité, c’est le fait de ne pas me sentir assez productif. Ça n’a aucun lien avec la quantité de travail abattu, c’est un sentiment. Et un sentiment, ça part de soi. C’est une vue de l’esprit. Et ça ne se quantifie pas.

J’essaie de travailler là-dessus.

Si on se fixe des objectifs clairs et réalistes pour la journée, et qu’on les atteint, voilà, bravo, on a été productif. Si une urgence imprévue nous a empêché d’atteindre nos objectifs de la journée, on a été productif aussi. Il faut se le rappeler souvent, et ça devrait être une note de bas de page sur notre liste de choses à faire : se rappeler qu’il n’y a pas que la productivité dans la vie. Il y a aussi la vie. Parce que vivre, respirer, prendre son temps, ce n’est absolument pas productif, mais c’est important aussi.

Je le dis autant à toi qu’à moi : relaxe, c’est l’été. Et l’été, comme on le chantait dans Passe-Partout, c’est fait pour jouer. Ou pour déguster un Aperol Spritz sur la terrasse en découvrant de la nouvelle musique et en oubliant ce qu’il y a sur notre liste de choses à faire.

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