Toutes les deux semaines cet été, le jardinier-maraîcher Jean-Martin Fortier nous invite à plonger dans son univers où les mains noircies témoignent des leçons et des histoires que nous livre la terre… lorsqu’on sait l’écouter.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Martin Fortier dans son potager de l’Espace Old Mill, l’été dernier

Aujourd’hui, je vous convie dans mon jardin. Mais tout d’abord, permettez-moi d’apporter quelques précisions sur mon métier.

Lorsque j’emploie le terme « jardinier-maraîcher » pour décrire mon travail, je le considère comme un synonyme de fermier ou d’agriculteur, mais il reflète mieux la véritable essence de mon activité. Le terme « jardinier » souligne mon lien étroit avec le sol et les plantes que je cultive. J’utilise principalement des outils simples tels que la grelinette, les brouettes ou les binettes. Cependant, le terme « maraîcher » met également l’accent sur la productivité et la rentabilité de mon labeur, que je dois maximiser pour arriver à gagner ma croûte. Beaucoup d’autres cultivateurs comme moi utilisent surtout le mot « fermier de famille », pour décrire leur approche artisanale d’une agriculture locale.

En tant que jardinier-maraîcher, je m’occupe d’une parcelle d’un peu plus d’une acre.

Imaginez un jardin luxuriant, de la taille d’un terrain de soccer, où poussent des tomates, des concombres, des haricots, des courgettes, des fraises et plus de 30 variétés de légumes et de fruits.

Chaque samedi, et souvent deux ou trois fois par semaine, on va récolter tous ces légumes frais pour les apporter au marché. C’est ce qu’on appelle l’agriculture de proximité.

Une longue saison

Malgré nos hivers rigoureux, le métier se pratique sur 9 à 10 mois et tous les débuts de saison se ressemblent. Après une période de repos bien méritée, on ouvre la pépinière pour y faire des semis qui seront ensuite plantés au jardin en avril et en mai. Ainsi commence une longue aventure qui dure jusqu’en décembre avec les dernières cultures sous abri. En mai, chaque journée est consacrée à planter le jardin. On prépare le sol en y apportant le compost et le fumier nécessaires, puis on transplante une quantité impressionnante de variétés de légumes. Il faut aussi rapidement protéger les jeunes pousses des insectes nuisibles qui attendent avec impatience l’arrivée du beau temps pour les dévorer. Durant la période d’implantation, il faut aussi veiller à ce que les semis restent suffisamment humides pour favoriser la bonne germination des graines semées directement dans le sol. Fait intéressant : les semoirs que nous utilisons sont pratiquement les mêmes que ceux que les maraîchers utilisaient au début du siècle.

Et c’est ainsi qu’un grand marathon s’amorce. Semaine après semaine, on arrose, on cultive et on s’occupe de nos plantes qui poussent à vue d’œil. Chaque jour, il faut organiser son travail avec efficacité et le succès dépend de nombreux facteurs, certains maîtrisables et d’autres imprévisibles. On travaille avec du vivant et une météo toujours changeante. Chaque expérience est une leçon qui enrichit nos connaissances et nous permet d’améliorer la qualité des légumes que nous cultivons. Pour chaque oignon attaqué par des thrips, de minuscules insectes invisibles à l’œil nu, une tomate savoureuse et parfaitement mûre prend le relais. C’est l’avantage de cultiver différents légumes simultanément sans se spécialiser excessivement.

Au fil du temps, lorsque les premières récoltes commencent, on développe une véritable relation avec la nature, en particulier avec le sol que l’on approche de près. Comme dit le proverbe, « la terre est basse » !

Ce métier est non seulement lié à la terre et aux champs, il est aussi un métier de rencontres et de communauté. Il va au-delà de la simple culture des légumes, il génère des liens humains. Au marché, on fait partager notre passion et nos connaissances, on échange des recettes tout en bavardant avec les clients. C’est une occasion pour tous ceux – et surtout les enfants – qui n’ont pas la chance de travailler la terre de se reconnecter avec le terroir et de participer à ces valeurs. Ça donne alors beaucoup de sens au métier. Cette partie de l’équation implique tout le monde, car sans le soutien et l’enthousiasme des consommateurs désireux d’une agriculture comme la nôtre, il n’y aurait aucune motivation à faire ce que nous faisons. Tout commence avec le citoyen mangeur.

Alors, souvenez-vous de ceci : lorsque vous vous attablerez pour savourer un repas, rappelez-vous que vos légumes frais sont le fruit d’un travail et d’une dévotion qui dépassent la simple notion de métier. Et la prochaine fois que vous ferez un détour pour acheter vos légumes et fruits directement chez un maraîcher, prenez le temps d’observer ses mains. Si elles sont marquées par la terre, prenez le temps de le remercier pour son travail, car manger est avant tout un geste agricole.

Jean-Martin Fortier cultive aujourd’hui des légumes dans le potager de l’Espace Old Mill, son restaurant situé dans les Cantons-de-l’Est. On peut également le retrouver certains samedis matin au marché Jean-Talon de Montréal, ainsi que les jeudis au marché de Saint-Lambert.

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