Cet été, Contexte invite ses lecteurs à refaire le monde en compagnie d’un chroniqueur et d’une personnalité. Pour lancer la série, Chantal Guy a convié Pénélope McQuade à une chasse aux champignons dans les Laurentides, en compagnie du photographe Robert Skinner. L’animatrice radio a parlé de l’importance du dialogue et de l’altruisme dans un Québec où les lignes de faille se multiplient.

Un Québec qui change

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’animatrice Pénélope McQuade et la chroniqueuse Chantal Guy ont discuté lors d’une chasse aux champignons.

Ma patronne a eu l’idée d’un concept d’entrevue où, plutôt que de prendre un café avec une personnalité, nous refaisons le monde en jasant pendant une activité. « Ça te dirait d’aller cueillir des champignons avec quelqu’un ? » Je suis une mycologue très amateur, mais très enthousiaste, elle le sait parce que chaque année quand je reviens de vacances, je parle avec fierté de mes cueillettes de chanterelles. Un passe-temps que m’a transmis ma défunte belle-mère, qui m’a légué ses guides de champignons du Québec.

J’ai spontanément pensé à Pénélope McQuade, que je trouve très humaine à la radio. L’une de ses dernières entrevues avant ses vacances avec la comédienne et militante Adèle Haenel, qui a annoncé en mai quitter le cinéma – un milieu trop complaisant à son goût avec les agresseurs sexuels –, en est un bon exemple. À fleur de peau, mais profonde, et respectueuse.

Pénélope a dit oui avec entrain, même si elle n’était jamais allée de sa vie à la cueillette aux champignons. Elle est arrivée bien préparée, car en juin, les mouches noires et les moustiques sont nombreux, et puisque les tiques sont maintenant dans toutes les régions, il faut se protéger adéquatement.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Chantal Guy et Pénélope McQuade

Mais cette rencontre a failli être annulée en raison des incendies de forêt. La veille de notre rendez-vous, il y avait tellement de fumée qu’on ne pouvait pas vraiment aller en randonnée. Au moins, cela a fait disparaître 50 % des moustiques – à quelque chose malheur est bon, comme on dit.

Depuis 2019, Pénélope McQuade pilote son émission quotidienne dans laquelle elle aborde de nombreux sujets de société avec une foule d’invités, et je me demande ce que cela lui a appris sur le Québec des dernières années.

Elle réfléchit, pendant que je tombe sur un petit bolet attaqué par des limaces. « En venant ici, j’écoutais dans ma voiture la balado Ainsi soit chill de Jérôme 50, sur le paysage linguistique de la nouvelle génération, c’est fascinant », confie Pénélope. Je suis bien d’accord. J’ai trouvé passionnant d’apprendre dans cette balado que le slang montréalais ne se limite pas au franglais depuis que le créole haïtien et l’arabe se sont infiltrés dans le lexique des jeunes.

« Qu’est-ce que ça dit d’où on est en ce moment ? poursuit-elle. En fait, je ne sais pas où me situer par rapport à ce à quoi ressemble notre province, notre nation, notre pays, peu importe. J’avais une idée plus claire il y a 10 ans, et on dirait que c’est devenu très flou dans les dernières années. On ressemble plus aux Américains et moins aux Canadiens anglais, mais dans un désir de ne pas aller vers où s’en vont les États-Unis depuis quelque temps. On le voit avec Poilievre, cette tendance-là ne marche pas, même chez les conservateurs. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un certain nombre de choses qui proviennent des États-Unis, notamment toute la portion polarisante. Je pense qu’on voit de plus en plus les dangers et qu’on a envie de se préserver de ça. »

Un désir de dialogue

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

À la recherche de champignons

On s’est moqué, parfois gentiment, parfois méchamment, de sa volonté d’ouverture que certains trouvent trop « woke », mais elle rappelle que c’est dans le mandat de l’émission d’être progressiste. Ce qui ne rime pas pour elle avec complaisance. « On ne va pas protéger les gens d’eux-mêmes, surtout s’ils disent qu’ils n’ont pas besoin de protection, mais surtout, moi, je ne veux pas me surprotéger dans des choses qui me confrontent, parce que ça ne m’intéresse pas du tout. »

Pénélope estime qu’elle peut poser toutes les questions qu’elle veut sans transformer ses entrevues en « hot seat » et qu’une certaine bienveillance lui permet d’aller plus loin. Par exemple, avec Adèle Haenel. L’équipe s’était préparée à toute éventualité, qu’elle annule la veille ou qu’elle sorte du studio dès le début de l’entrevue. Les deux femmes ont finalement parlé pendant 30 minutes. « J’aurais pu faire un coup d’éclat, avoir sept minutes qui auraient fait le tour du monde, mais on n’a pas de minutes à perdre. Il y a eu une période dans ma vie où j’avais envie de faire du spectacle médiatique, mais je n’ai plus envie de ça. Les questions difficiles ont été posées, et je pense que le ton dans lequel on peut le faire, c’est comme ça qu’on va créer un dialogue et garder Adèle Haenel autour de la table. »

Comment garder le monde autour de la table. C’est une bonne image. Pénélope sent que les gens ont besoin de se parler, malgré les maladresses. Selon elle, le Québec est encore un peu à la « garderie de la chicane », contrairement à la France, pays de débats. « C’est comme si on venait de commencer à se dire que nous aussi, on peut habiter l’espace pour autre chose que du consensuel, à vouloir jouer avec les codes du débat social. On l’a fait sur la question nationale, sur la question linguistique, et là, on le fait sur n’importe quoi. C’est sûr qu’il y a une polarisation là-dedans, je n’aime pas toujours ce qui ressort en ce moment, mais je suis curieuse de voir ce que ça va donner dans 10 ans comme société. »

Elle sent aussi un désir de rencontre intergénérationnelle, malgré un problème de communication. « Mais derrière ça, je pense qu’il y a une grande volonté que ça se passe. Que les baby-boomers n’ont pas envie d’être sclérosés, mais entre ce que tu veux et à quel point tu es capable de t’adapter, ça brasse beaucoup. »

De mon côté, j’ai l’impression que c’est depuis la crise étudiante de 2012 que de nouvelles fractures sont nées. « Mon dieu, oui ! répond Pénélope. La génération des baby-boomers entre dans la vieillesse, alors qu’elle s’était placée comme la première en opposition aux précédentes. Ces gens-là qui ont voulu tout briser et tout inventer, on dirait que certains d’entre eux sont réfractaires à ce qui s’en vient. Je ne veux pas généraliser, mais je les comprends d’être bousculés dans leurs idéaux. Ils ont fait éclater plein de tabous et ils se retrouvent face à de nouveaux tabous. J’ai hâte de voir ceux qui ont 20 ans aujourd’hui quand ils auront 50 ans ! »

Bien sûr que cela a brassé depuis 2012, avec des mouvements comme Black Lives Matter, la réconciliation avec les Premières Nations, #metoo. Pénélope elle-même s’est retrouvée dans la tourmente, en faisant partie des présumées victimes de Gilbert Rozon, qui l’a poursuivie pour diffamation. Et à voir le nombre de femmes autour d’elle recevoir des mises en demeure, elle ne croit pas que #metoo a changé le monde tant que ça.

« Je me suis beaucoup questionnée sur la pertinence d’avoir fait ça, mon intérêt personnel par rapport à l’intérêt collectif. Je te dirais que c’est plus violent, la poursuite, que tout le reste. Et le temps qui passe. C’est violent à chaque facture d’avocat. C’est dur à avaler parce que c’est de l’argent que j’ai durement gagné et que je ne reverrai plus. De l’argent que je n’aurai pas pour m’occuper de mes parents pendant plusieurs années dans leur vieil âge. Et le procès n’est pas encore commencé. Ça n’a pas d’allure, cette violence-là de tout le système. »

Est-ce que refaire le monde, c’est un peu se battre ? « C’est se faire la tag, précise-t-elle. C’est impossible de passer une vie à se battre. On le voit avec les femmes, elles sont épuisées, elles subissent un backlash, elles récoltent rarement dans leur propre vie ou dans le moment où elles se battent le fruit de leurs combats. »

Pénélope McQuade se rappelle une période où plusieurs femmes journalistes ont pris une pause des médias, écœurées par la haine en ligne. Judith Lussier lui avait demandé où elle trouvait la force de continuer. « Je lui ai dit que pendant qu’elle se battait, ça donnait un break à d’autres, à moi. »

Refaire le monde ne peut se faire que dans la solidarité. La solidarité réelle et profonde, pas juste quand ça fait notre affaire. C’est facile d’être solidaire quand ça va bien et qu’on pense pareil. C’est comme la bienveillance. C’est facile d’être empathique avec du monde de ta gang. Mais c’est quand c’est tough que ça devient vraiment important.

Pénélope McQuade

Personnellement, parce que je n’ai rien d’une militante, je crois qu’il existe une façon assez simple d’être solidaire, qui est de ne pas nuire à ceux qui veulent que ça aille mieux. Un minimum, il me semble. « Je vais tellement l’adopter, celle-là ! », me lance Pénélope en riant.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Est-ce un polypore ?

Nous croisons une amanite tue-mouches parasitée et ce que je crois être un polypore quelque peu fatigué. Il y a peu de champignons sur notre chemin, je ne crois pas que la récolte de chanterelles sera bonne. Et j’ai raison, car on n’en trouve pas une – à moins que quelqu’un ait découvert ma talle secrète. Je m’excuse à Pénélope et au photographe Robert Skinner, car c’était le but de cette promenade, après tout. J’aurais aimé leur faire découvrir le charmant goût d’abricot de ces champignons, poêlés avec un peu de beurre. « L’important, c’est le voyage », dit Robert pour nous faire rire.

Mais dans l’herbe, je vois bien de minuscules boutons dorés. Dans une semaine, il y aura des chanterelles.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Promesse de chanterelles

« Qu’est-ce qui te donne de l’espoir, Pénélope ?

— Il n’y a pas longtemps, je t’aurais dit les jeunes. Mais je trouve que la responsabilité qu’on met sur leurs épaules est trop grande. Ils n’ont rien voulu de tout ça et on est en train de leur demander de sauver le monde. Je te dirais aussi que j’aimerais tellement qu’on écoute les gens qui étaient là avant nous. »

Ce qui veut dire jouer à la tag, car un jour, il faudra bien répondre présent à ceux et celles après nous qui voudront nous entendre.