Cet été, nos journalistes passent chaque semaine un moment en terrasse avec des personnalités pour une discussion conviviale. Luc Boulanger a réuni Michael Hendricks et René Lebœuf, premiers conjoints de même sexe à s’unir légalement au Québec en 2004.

Michael Hendricks et René Lebœuf célébreront leur 20e anniversaire de mariage au printemps prochain, ainsi que les 50 ans de leur rencontre, le 31 décembre. Véritables pionniers de la lutte pour la reconnaissance des personnes LGBTQ+ au pays, les deux hommes sont encore passionnés par les droits des minorités. Et toujours aussi amoureux l’un de l’autre.

Ils arrivent à l’heure pile au rendez-vous. D’un pas alerte, bien que le plus vieux du couple, Michael Hendricks, se déplace à l’aide d’une canne. Sauf pour les cheveux gris et blancs, ils n’ont pas tant changé. Ils sont aussi heureux et fiers qu’à l’époque où ils faisaient la une des journaux. Au temps du long combat de leur mariage... très médiatisé.

« On s’est battus seuls pour notre mariage. Au début, la communauté homosexuelle a refusé de nous soutenir. Les gais et les lesbiennes trouvaient qu’on allait trop loin, qu’il fallait mieux rester dans l’ombre et ne pas trop s’afficher, par crainte d’un backlash des hétéros », se souvient René Lebœuf.

Or, le 1er avril 2004, les deux hommes se sont mariés sans incident... et la vie a continué. Pourquoi cette date ? « Parce que les autres étaient réservées, répond Michael Hendricks. À l’exception de cette journée. Comme ça faisait sept ans qu’on attendait, on avait hâte d’aller au palais de justice, peu importe le poisson d’avril. »

Des relations avec la police à la violence conjugale en passant par l’inauguration du parc de l’Espoir ; de la lutte contre le sida à l’homophobie en passant par les meurtres antigais, le couple a milité sur plusieurs fronts depuis 40 ans. Quelle est la victoire la plus importante à ses yeux ?

« La reconnaissance de nos droits par l’État, répond M. Lebœuf. Socialement, la discrimination ouverte contre les lesbiennes et les gais est illégale. Si elle existe encore, elle demeure plutôt rare ou, au moins, discrète. Nous sommes reconnus au Québec comme des citoyens à part entière ; au même titre que les citoyens hétérosexuels. »

Pour M. Hendricks, le plus gros cadeau de la communauté, c’est le « coming out ». « Pouvoir sortir de la clandestinité, du placard, et ce, dès la puberté, c’est formidable ! Bien sûr, tu n’es pas obligé de le faire. Mais tu as le choix. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Michael Hendricks et René Lebœuf répondent aux questions du journaliste de La Presse sur la terrasse du Parma Café, au marché Jean-Talon.

Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1980, des amoureux étaient éconduits par les familles de malades du VIH.

Je me souviens de parents empêchant un chum de voir son conjoint mourant à l’hôpital ou de se rendre aux funérailles. De familles vidant l’appartement d’un mort en emportant tous les meubles, sauf le matelas… parce qu’ils disaient que le lit était souillé par le sexe. Il y avait des injustices au quotidien.

Michael Hendricks

Deux pionniers

Avant l’arrivée de l’épidémie du VIH, en 1985, il n’y a pas eu de « vrai » militantisme LGBTQ+, selon eux. « C’était plutôt du lobbying. Le vrai militantisme est arrivé avec Act-Up, durant la conférence sur le sida à Montréal en 1989, une conférence qui a changé le cours de l’histoire du sida », rappelle M. Lebœuf.

Parallèlement aux ravages du virus, une série de meurtres d’homosexuels sévissait alors dans le Village et la communauté avait de sérieux problèmes avec le service de police. Le projet « Dire enfin la violence », mené par Claudine Meltcalfe, a été lancé en même temps que la Table de concertation gaie et lesbienne à laquelle participait le chef de la police de Montréal, Jacques Duchesneau. « Il était plus ouvert que ses prédécesseurs et les choses ont commencé à changer dans nos relations avec la police », explique M. Hendricks.

Le couple ne comprend pas la décision de Fierté Montréal d’interdire la participation des policiers en uniforme au défilé. « Ils ont les mêmes droits que le reste de la population, dit M. Hendricks. Dans les années 1990, la police a admis ses erreurs, la discrimination et l’intimidation envers la communauté. Duchesneau nous a aidés à régler la question des homicides également. On a tous besoin de la protection policière. Mais on n’a pas besoin de discrimination. »

« C’est vrai qu’il y a encore de la brutalité et de la violence envers certaines communautés, ajoute son conjoint. Mais c’est un problème social, avant d’être un problème policier. C’est correct de descendre dans la rue pour exprimer sa colère et dénoncer l’injustice. Mais si tu fais juste protester, tu ne règles pas les problèmes. Il faut aussi être capable de tendre la main et ouvrir le dialogue. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Michael Hendricks et René Lebœuf ne comprennent pas la décision de Fierté Montréal d’interdire la participation des policiers en uniforme au défilé.

En attendant un leader

En 2023, le couple croit que l’intolérance se déverse désormais sur les personnes transgenres et les drag queens.

La question des drags dans les bibliothèques est une distraction pour éviter de parler des sujets urgents. La droite pense que ces minorités sont une cible facile pour exprimer leur haine de la différence. Je ne pense pas que la droite accepte l’homosexualité de nos jours. Nos ennemis sont pognés avec nous. Ils nous tolèrent.

Michael Hendricks

Le sexagénaire et le (jeune) octogénaire trouvent parfois complexes les luttes militantes actuelles ; comme les débats sur les pronoms, l’intersexualité et la fluidité des genres... Mais ils s’informent en essayant d’évoluer avec ceux et celles qui continuent le combat. Toutefois, avec un spectre de couleurs de plus en plus large, les communautés ont tendance à s’isoler entre elles, selon eux. René Lebœuf estime qu’il manque aujourd’hui « un vrai leader capable de rassembler la communauté au complet », comme le faisait Laurent McCutcheon, mort en 2019. « C’est dommage », déplorent les deux anciens militants.

Questionnaire estival

À quoi ressemble votre été idéal : Michael : « Vivre trois mois de pure oisiveté. » ; René : « Se promener sans but et explorer les différents quartiers de notre belle ville. »

Le livre que je veux lire cet été : Michael : « Sauver la ville. Projet Montréal et le défi de transformer une métropole moderne, de Daniel Sanger » ; René : « Que notre joie demeure, le plus récent roman de Kevin Lambert. »

Les gens que vous aimeriez réunir à table, morts ou vivants : Michael : « Benjamin Franklin, Alexandre Dumas, père, Marie Curie, Hannah Arendt, René Lévesque » ; René : « Larry Kramer, Jean-François Lisée, René Lévesque. »

L’évènement historique que vous auriez aimé vivre : Michael : « Stonewall » ; René : « La Révolution française. »

Qui sont-ils ?

Michael Hendricks, 81 ans. Né à Trenton, au New Jersey, il a travaillé en cinéma et en informatique. Il a fui les États-Unis en 1968 pour échapper à la conscription et militer contre la guerre du Viêtnam. René Lebœuf, 67 ans. Né à Québec, il est photographe et a travaillé longtemps en hôtellerie.

Ils se sont rencontrés le 31 décembre 1973, dans une fête du Nouvel An. Ardents défenseurs de la communauté LGBTQ+ au Québec. Ils ont, entre autres, milité au sein d’Act-UP Montréal, cofondé le parc de l’Espoir, le comité Dire enfin la violence et la Table de concertation gaie et lesbienne (1992).

Le 1er avril 2004, au palais de justice de Montréal, Michael Hendricks et René Lebœuf deviennent le premier couple de même sexe à se marier civilement au Québec.