Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’actrice et animatrice Rosalie Bonenfant.

Dernièrement, lors d’un passage à une émission estivale, j’ai cru pouvoir échapper à la saison du catcall – ces commentaires non sollicités que les hommes aboient aux passantes – en recouvrant le poids politique que coltinent mes épaules de femme. J’ai donc opté pour un t-shirt de band, extralarge qui plus est, pour m’assurer que mes courbes ne rappellent pas aux charognards des alentours ma tendre nature de fille-steak. Un t-shirt de Nirvana. J’aurais aussi pu enfiler mon chandail de U2, mais j’ai une fierté. Celui-là, je sais qu’il vaut mieux le porter en cachette, bien que je puisse réciter par cœur à peu près tous les opus du groupe, de Boy à Songs of Innocence environ. (Ben oui, j’ai décroché à un moment donné !)

Sur Instagram, c’est dans mon gaminet aux couleurs de l’album MTV Unplugged in New York que j’apparais sur la photo promo, annonçant mon passage à l’émission. Jamais je n’ai affirmé que je me saignerais pour voir le groupe en spectacle ou que je viderais mes REER juste pour me procurer une mèche de cheveux de Kurt Cobain. J’ai juste existé dans un t-shirt aux couleurs d’un band ultraconnu.

Il ne faut pas plus de quelques minutes pour qu’un mec que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam vienne pisser dans les coins de son intérêt pour le grunge américain. « LOL. Name 3 songs ! », m’écrit-il dans une langue empruntée, espérant sans doute me déstabiliser avec une autre affaire que je ne connaîtrais pas. Il décore son ultimatum d’un émoji crampé de rire, trahissant combien il était décidé à se payer ma tête. Irritée, je lui réponds ironiquement : « De qui ? »

Il me revient illico : « De Nirvana DUH ! Mais ça ne compte plus, tu as eu le temps de vérifier en ligne ! »

De nouveau, je roule des yeux au point que ma tête semble se transformer en boulier de bingo. Ça ne compte plus ? Dis donc, l’ami, est-ce que ton pop quiz était surveillé par Raymond Chabot Grant Thornton ? C’est attendrissant, quand même, comment il estime être le seul au monde à connaître l’un des groupes les plus populaires de l’histoire de l’univers, ai-je pensé. C’est exactement ce que je lui réécris, ce qui me mérite un autre émoji qui pleure de rire : « My God ! Désolé, je ne voulais pas te vexer ! »

« Je ne suis pas vexée, que je lui réponds avec la clémence de celle qui a tôt fait de s’habituer à se justifier. Je serais curieuse, cependant, de savoir la fréquence à laquelle tu écris ce genre de questions à des gars. » Puis, silence radio. Il m’a unfollow.

Un désabonnement virtuel se voulant l’équivalent actuel d’envoyer une sorcière au bûcher, perpétuant l’idée qu’une femme nous confrontant dans nos idées reçues mérite d’être bannie. (Pssst ! Les sorcières qui ont été brûlées n’étaient pas de véritables sorcières. Elles étaient simplement... tenez-vous bien : DES FEMMES !) Je l’ai confronté dans ses idées reçues ; il m’a expatriée vers sa messagerie filtrée.

Quand même ironique d’exiger d’une pure inconnue qu’elle justifie ses choix vestimentaires, alors que tu n’es toi-même pas en mesure d’expliquer pourquoi tu supposes d’entrée de jeu une faille dans sa culture.

Et puis après ? Même si je changeais systématiquement de poste en entendant les premières notes de Come As You Are au 99,9 The Buzz, qu’est-ce que ça viendrait menacer dans le statut de ce puriste du fanatisme ? Se sentirait-il émasculé de partager un intérêt avec une jeune fille ?

Et s’il avait été question d’un t-shirt des New Kids on the Block ? Je ne pourrais probablement pas nommer plus que trois de leurs titres, les chanter encore moins, mais mon petit doigt me dit qu’il m’aurait fiché la paix si je n’avais pas été assez présomptueuse pour porter le t-shirt aux couleurs d’un band apparemment réservé aux gars cool.

En toute franchise, je peux nommer trois tounes de Nirvana les doigts dans le nez. Peut-être même cinq. Dix ? Faudrait que j’y pense. Alors, réglons la question une fois pour toutes : il faut aimer exactement combien de chansons pour avoir la permission de porter un chandail de band ? Par définition, l’art n’appartient-il pas à tout le monde ? Surtout, faut-il absolument être un fan invétéré pour étrenner un chandail sans se faire intercepter par les gendarmes de la stratification musicale ?

Avec la recrudescence de popularité des friperies, on voit de plus en plus de jeunes porter des casquettes et des blazers d’équipes sportives ou d’entreprises dont ils ignoraient jusque-là l’existence. Faudrait-il également arrêter dans la rue celles et ceux qui portent des chandails de Harley-Davidson pour leur demander si leur cul a déjà rencontré le siège d’une moto ? Et si j’avais porté un coton ouaté à l’effigie de Maya l’abeille, aurait-on testé mes connaissances en apiculture ?

Qu’une personne choisisse un vêtement parce qu’elle trouve son design agréable à l’œil, son tissu particulièrement doux au toucher ou parce qu’il s’agit d’un morceau appartenant à un proche disparu, ça ne regarde qu’elle. S’attendre à ce qu’une personne inconnue nous doive des justifications sur son accoutrement, c’est snob, c’est élitiste et ça donne un faux sentiment de pouvoir sur la liberté d’autres que soi.

En y repensant, voici ce que j’aurais dû répondre au chevalier de la pureté partisane :

Dude, si t’es à ce point préoccupé par ce que peut porter une pure inconnue, ton intérêt pour la musique ne suffit pas à occuper tes journées ; ça te prend de nouveaux passe-temps. Je comprends qu’à tes yeux, me voir porter le même t-shirt que toi peut sembler amoindrir l’amour que tu portes au groupe. C’est sûr que ça t’embête. Je t’assure cependant que rien ne sera jamais aussi épuisant que d’avoir à justifier sans cesse ce que tu portes, parce que ta robe est trop courte, ta casquette trop peu féminine et que ton t-shirt démontre trop que tu as des intérêts et une personnalité.

Mais bref, comme dirait l’autre ; thank you for the tragedy, I need it for my art !

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion