Toutes les deux semaines cet été, le jardinier-maraîcher Jean-Martin Fortier nous invite à plonger dans son univers où les mains noircies témoignent des leçons et des histoires que nous livre la terre… lorsqu’on sait l’écouter.

Chaque matin, au lever du soleil, une tasse de café chaud entre les mains, je me dirige vers mon jardin maraîcher. C’est un moment précieux, une parenthèse poétique où je contemple la nature et planifie ma journée. Comme le dit si bien le dicton, « le meilleur engrais est le pas du fermier ». Chaque pas que je fais dans ce jardin fertile est un instant de connexion avec la terre et ses merveilles.

Au fil des saisons, mon amour pour l’écologie s’est intensifié. Cultiver plus de 40 variétés de légumes différents m’a permis de comprendre les subtilités de l’écosystème qui s’épanouit dans mon jardin. Chaque jour, je suis témoin de la magie de la croissance, de la transformation d’une minuscule graine en une plante vigoureuse. En observant de près, je peux lire les signes que la nature me livre. Les petites fleurs éclosent, attirant les pollinisateurs pour assurer une abondante récolte. Chaque légume a sa personnalité, son histoire à raconter. Des rangées de tomates juteuses aux feuilles de laitue frémissantes, c’est une symphonie de couleurs, de saveurs et de textures qui se déploie devant moi.

Mon jardin maraîcher est un lieu de rencontre avec la beauté et la diversité du règne végétal, surtout avec tous ces insectes qui s’affairent, tels de précieux alliés dans ma quête d’un équilibre écologique.

Mais il y a aussi les insectes qui entrent en compétition avec mes efforts…

Les chrysomèles, surtout.

Ces insectes voraces, au corps luisant et aux mandibules acérées, sont une menace redoutable pour mes précieuses courgettes et mes concombres. Leur appétit insatiable peut rapidement transformer mes plantes en un amas de feuilles dévorées.

Si vous avez des concombres ou des courgettes dans votre jardin, vous savez de quoi je parle.

Laissez-les à elles-mêmes, les chrysomèles dévorent tout et transmettent en plus un virus qui se propage et fait souvent dépérir complètement nos plants du jour au lendemain. Bref, c’est du sérieux !

Alors, comment s’en prémunir ? En agriculture traditionnelle – qu’on devrait plutôt appeler agriculture chimique –, un pesticide endémique serait appliqué sur les plants et, en quelques jours, chaque insecte entré en contact avec eux mourra. C’est efficace, mais cela tue tout, pas seulement les chrysomèles. Et c’est complètement à l’opposé du modèle écologique que je prône et porte dans mon cœur. Avec les pesticides de synthèse, fini la connexion avec la nature.

J’opte plutôt pour une stratégie, disons… mécanique. Mes jeunes plants, c’est-à-dire ceux que je transplante, seront couverts d’une moustiquaire, la même que vous utilisez pour vos portes et terrasses. Cela empêche à 100 % la chrysomèle de manger les plants, mais il y a un hic. Une fois en floraison, les fleurs doivent être pollinisées par les insectes butineurs du jardin. Si je veux des concombres et des courgettes, je dois retirer les filets. C’est alors que commence une nouvelle routine matinale.

Chaque matin, quand je marche dans mon jardin, je suis équipé d’une torche, le genre qu’on trouve en quincaillerie. Je me dirige alors vers mes courgettes et concombres, précisément vers les fleurs qui sont bien ouvertes. Je sais que c’est là que les chrysomèles se rassemblent.

D’un geste déterminé, j’allume la torche et je brûle ces ravageurs avec un choc thermique soudain, auquel résiste heureusement le plant.

Une simple seconde par fleur suffit et je ne m’attarde pas, car j’en ai souvent plus de 200 à visiter.

En procédant ainsi, je diminue la pression de ces ravageurs sans avoir recours à un pesticide. C’est un contrôle simple et sans poison.

Certains pourraient trouver cette pratique extrême, voire cruelle, mais c’est en réalité la méthode la plus écologique que je connaisse pour réduire de façon draconienne leur population et limiter leur prédation sur mes légumes. On doit toujours se rappeler qu’ils sont chez eux autant que nous. Dans cet équilibre délicat entre la préservation de la biodiversité et la protection de mes récoltes, je dois prendre des décisions difficiles. Je suis un gardien de ce jardin, un protecteur des légumes qui nourriront les gens.

Sinon, mes clients au marché ne me le pardonneraient pas !