Le grand Jean Lapointe est mort il y a un an presque jour pour jour. Son fils Jean-Marie, qui l’a accompagné durant les dernières années de sa vie, raconte ces précieux moments dans un livre à la fois lucide et touchant. Rencontre avec un homme qui assure ne jamais s’être senti aussi vivant que depuis qu’il regarde la mort en face.

Jean-Marie Lapointe a su assez tôt qu’il allait écrire un livre sur les derniers moments de son père. Il faut dire que le fils de Jean Lapointe accompagne les enfants en fin de vie depuis plus de 20 ans. La mort, il l’a côtoyée de près et souvent. Sauf que cette fois, il s’agissait de son père… « Même si j’ai une certaine expérience, dit-il, quand c’est ton père, tu perds tes moyens. »

Du mois d’août 2020 – au moment où la santé de Jean Lapointe a commencé à décliner – jusqu’à sa mort en novembre 2022, le fils a donc noté minutieusement tout ce qu’il voyait et ressentait. Il a même enregistré leurs conversations, parfois sérieuses, parfois cocasses. « Je voulais être vraiment respectueux de ce que je vivais, de ma vulnérabilité de réaliser que papa s’en allait », souligne-t-il.

Le récit de Jean-Marie Lapointe (Notre dernier voyage, aux Éditions Libre Expression) est entrecoupé d’échanges avec Johanne de Montigny – une grande spécialiste du deuil et amie de l’auteur – ainsi que de deux textes signés Robin Aubert (qui a travaillé avec Jean Lapointe) et Anne Elizabeth Lapointe (fille de Jean).

« Avec ce livre, j’ai voulu offrir un ami, un confident, des repères pour ceux et celles qui n’en ont pas, me confie Jean-Marie. Je souhaite qu’il donne du réconfort. Je l’ai écrit avec compassion, mais c’est aussi un exercice thérapeutique. »

Dans l’intimité du père

Bien sûr, il y a un intérêt supplémentaire au livre de Jean-Marie Lapointe : son père était un homme très connu et aimé du public, dont la curiosité sera sans doute piquée. Redoutait-il de susciter un certain voyeurisme en écrivant sur des moments parfois très intimes de la vie de son père ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jean-Marie Lapointe souhaite que son livre parvienne à donner du réconfort.

C’est vrai, j’écris sur la vie d’un homme connu. Mais je n’ai pas voulu embellir ou enlaidir cette fin de vie. Ce livre se devait d’être sous le signe de la vérité et de la vulnérabilité. J’ai essayé d’écrire en me disant : “Si papa avait à le lire, est-ce qu’il serait gêné ? Est-ce qu’il aurait honte ?” J’ose croire que non.

Jean-Marie Lapointe

Jean-Marie Lapointe est reconnaissant que son père ait accepté sa présence et son aide. « Des fois, il pouvait sentir de la frustration face à la situation, raconte-t-il, mais il avait cheminé et acceptait ce qui s’en venait. Je trouve ça tellement beau de pouvoir parler de dignité malgré notre fin de vie et une certaine déchéance corporelle et cognitive. Je me considère comme très chanceux d’avoir eu accès à un père vulnérable qui acceptait et accueillait cette vulnérabilité-là, de façon consciente ou non. Quel beau cadeau de vivre ça ! »

Un long cheminement

Jean-Marie Lapointe réfléchit à la mort depuis longtemps déjà. Depuis 1991 plus précisément, l’année où sa mère est morte à l’âge de 49 ans. Il en avait 26. « Ça a été un puissant coup de deux par quatre, confie-t-il. On dirait que ça m’a ouvert les yeux. La mort de maman a déclenché chez moi un questionnement sur ce qu’on est sur terre, ce qu’on fait, où on va… Je me suis demandé : est-ce que je mène une belle vie ? »

Sa perspective sur la vie a changé, assure-t-il. « On dirait que quand tu côtoies la mort, quand tu envisages la fin et que tu l’incorpores dans ta vie, tu accueilles cette finalité-là. C’est comme quand tu pars en voyage pour un mois. Quand il te reste deux, trois jours, on dirait que le temps prend une perspective complètement différente, que tu es davantage dans l’instant présent. »

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Jean-Marie Lapointe s’intéresse à la mort depuis une trentaine d’années.

La fin de vie ferme les yeux du mourant, mais ouvre ceux du vivant. Comme personne qui accompagne, tu es contaminé toi aussi.

Jean-Marie Lapointe

Cette quête de sens n’a jamais vraiment quitté Jean-Marie Lapointe depuis 30 ans. Il a beaucoup lu sur la vie après la mort, le bouddhisme et la réincarnation. Il a également décidé d’accompagner des enfants en fin de vie, une autre expérience riche de leçons. « Ma première coach en accompagnement de fin de vie, Gisèle Laberge, m’a souvent dit : “N’oublie jamais que tu accompagnes la vie, tu n’accompagnes pas la mort. Donc même s’il reste deux jours ou deux mois au petit garçon devant toi, il vit.” Cette idée-là, d’accompagner la vie et non pas la mort, ça fait réaliser à quel point on n’a pas les outils pour y arriver. »

Réinventer les rituels

Jean-Marie Lapointe plaide aussi pour de nouveaux rituels de fin de vie. Une expérience hors du commun, vécue il y a quelques années, a été une révélation pour lui.

« J’avais été invité dans un évènement-bénéfice pour une femme qui avait une tumeur inopérable au cerveau. Elle s’appelait Sylvie Brown. Elle savait qu’elle allait mourir et elle acceptait son sort.

« On m’avait proposé de faire une conférence pour elle, mais je trouvais que c’était un non-sens que j’aille parler de bénévolat et de l’accompagnement en fin de vie alors qu’on avait là une femme exceptionnelle qui allait juste m’écouter et applaudir à la fin. Et ensuite, tout le monde s’en irait ? À la place, j’ai proposé à sa meilleure amie de faire des funérailles vivantes.

« “Imagine ! Au lieu de m’entendre en conférence, on assoit Sylvie sur la scène et on lui rend hommage de son vivant. Tu lui dis dans sa face que tu l’aimes, que tu la remercies pour tel ou tel évènement. ‘Merci, Sylvie, pour notre amitié, merci d’avoir existé.’ Ça n’est pas quand elle sera dans une boîte ou dans un cercueil qu’elle va pouvoir entendre tout ça et que toi, tu vas être libérée de lui avoir dit…” » 

« Sylvie a accepté, poursuit-il, à condition que son fils et moi soyons assis à côté d’elle. C’est sûr qu’il y a eu le festival des fous rires et le festival du kleenex, mais… quel cadeau ! Je t’en parle et je ressens encore l’émotion… »

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« On doit remettre en question notre regard sur la mort dans notre société », soutient Jean-Marie Lapointe.

Jean-Marie Lapointe souhaite ardemment qu’on organise davantage de ces funérailles vivantes, et pas seulement dans le contexte de l’aide médicale à mourir. « Ça devient une célébration vraiment intense, les funérailles n’ont plus la même saveur. »

« On doit remettre en question notre regard sur la mort dans notre société », ajoute celui qui nous invite à regarder la mort dans les yeux… pour mieux célébrer la vie.

Questionnaire sans filtre

1. Le café et moi : J’adore le café, que je bois noir, mais je n’en prends plus après 14 h, car je ne serai pas du monde le soir. J’ai changé ma machine Nespresso pour une vraie machine qui moud le café. J’adore l’odeur, j’adore le rituel de partir la machine le matin.

2. Les livres sur ma table de chevet : J’ai perdu un être cher de Jean Proulx (Mediaspaul), Se libérer de l’addiction en reprogrammant son cerveau de Patrick Bordeaux et George F. Koob (Éditions de l’Homme) et Sois, ressens, pense, agis d’Anne Bérubé (Éditions Le Dauphin Blanc). J’écoute aussi la balado d’Isabelle Richer.

3. Des gens vivants ou morts que j’inviterais à ma table : Assurément le dalaï-lama. Et mes parents. J’aimerais voir mon père et ma mère ensemble, dans leur présence lumineuse, pas dans leur corps affaibli par la maladie. J’aimerais leur témoigner de ce qu’ils ont changé dans ma vie.

4. Des rêves que j’aimerais réaliser : J’aimerais retourner sur une scène comme musicien, comme D.J. J’ai composé des tounes, j’ai fait des remix, j’aimerais ça, faire triper le monde avec ma musique. J’aimerais aussi avoir un gros montant d’argent, un genre de Lotto Max, qui me permettrait d’avoir ma fondation. J’ai déjà un plan de match, des idées, des projets. Et j’aimerais ça avoir un micro quotidien, car c’est vraiment puissant. J’aurais une plateforme pour donner la parole aux gens qui ne l’ont pas beaucoup, pour faire du bien.

Qui est Jean-Marie Lapointe ?

Touche-à-tout, il est auteur de plusieurs ouvrages, comédien, musicien, cinéaste, en plus d’être impliqué comme bénévole auprès de plusieurs causes. Auteur de Notre dernier voyage, aux Éditions Libre Expression (préface de Marina Orsini), il remettra une partie des profits à la Maison Saint-Raphaël.