Avec leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’actrice Éliane Gagnon.

Choisir. Le. Bonheur. Ces trois mots peuvent nous déranger profondément si nous sommes dans une passe moins heureuse de notre vie. Ils peuvent également nous inspirer et nous rappeler que nous en sommes responsables. Honnêtement, en tant qu’actrice amoureuse du drame, j’ai toujours trouvé que le bonheur, ça ne vend pas tant. Et en tant que femme qui a passé une partie de sa vie à le saboter pour des raisons obscures et à demi explicables, j’ai fait partie de ce groupe qui clame que le bonheur, c’était pour une classe à part... Les privilégiés, peut-être ?

Paradoxalement, je suis une obsédée du bonheur. Littéralement. La quête réelle de bonheur ou la quête de bonheur réel ? Laquelle choisir ? Le chemin qui y mène, ou le bonheur qui devient le chemin, comme le dit magnifiquement Boris Cyrulnik ? Entre les deux, il y a la réalité du drame que nous créons quotidiennement.

Les humains ont souvent tendance à chercher le bonheur comme une aiguille dans une botte de foin en oubliant parfois qu’il faut arrêter de le chercher et accepter qu’il soit volatil. Il part. Il revient. Il repart. C’est à nous de choisir de le garder au chaud près de notre cœur. De le protéger même.

Il est possible que, comme l’aiguille, nous ne le trouvions jamais parce que nous ne cherchons pas à la bonne place. Ou... que nous ayons constamment la tête prise dans le drame de notre ego qui nous donne le faux sentiment d’exister. Le drame, l’ego et, pire, les états de dépendance qu’il engendre nous éloignent de ce que nous cherchons obsessivement, nous empêchant de goûter au bonheur dans le moment présent, nous laissant avec le goût amer de la toune Il est où le bonheur, de Christophe Maé. La toune en soi, ça va, mais chercher désespérément... ça épuise !

Et ça... c’est l’histoire triste et banale d’humains (comme moi) qui n’ont pas appris à s’aimer ni à gérer leurs pensées et leurs émotions sainement. La suite logique, bien que (trop) souvent tragique, c’est les troubles de comportement, de personnalité et de perception qui nous mènent à penser quoi ? Que le bonheur se trouve à l’extérieur, qu’une relation, du sexe, de l’argent, un emploi, un succès, un titre ou une substance devrait nous rendre heureux, nous permettre de nous épanouir et d’être bien, enfin. Si nous sommes chanceux, ça va durer cinq minutes !

« Dépendants » est le nom qu’on nous a donné. Personnellement, je préfère « les-accros-de-la-gratification-instantanée-qui-veulent-tout-faire-pour-y-regoûter-encore-et-encore. » Bref. C’est une perspective. Ce mot lourd de sens décrit une condition, mais mériterait de ne pas être autant utilisé. Pas plus que des mots stigmatisants comme « addict », « alcoolique », « junkie », « toxicomane ». Pas parce que ça n’existe pas ou que je nie que ça ait un sens, mais plutôt parce que la dépendance, c’est tellement plus complexe qu’une étiquette.

Si nous partions plutôt du principe que nous avons tous besoin d’apprendre à nous aimer, de recouvrer notre vraie nature abîmée dans les dédales des exigences, des attentes, de l’anxiété de performance, des traumatismes collectifs et des démesures sociétales ? Si nous convenions que nous avons tous besoin de nous rétablir des effets délétères d’une société dysfonctionnelle ? Et si nous admettions que tous les humains sont susceptibles de franchir le seuil de la dépendance pour se retrouver du bord du trouble dans cette incessante quête du bonheur ?

Imaginez si, collectivement, nous laissions tomber les barrières des classes sociales, ethniques, culturelles ou sexuelles et que nous essayions de nous comprendre pour vrai, sans le jugement auquel nous sommes conditionnés ?

« Dépendant » ou pas, nous avons tous un chemin de bonheur à partager, parsemé d’épreuves et de résilience ; nous pouvons tous nous reconnaître dans nos pensées, nos peurs, nos comportements, nos obsessions et nos façons de voir la vie.

Si nous avions le cœur ouvert à l’histoire de Marie, d’Émilie, de Patrick, de Mariana, de Jo, de Hugo... et de tous les humains que nous croisons tous les jours, sans rien savoir de la bataille qu’ils ont menée. Qu’ils mènent encore. Dans quelle sorte de monde vivrions-nous, si nous nous donnions cette chance ?

Et si le bonheur était une série de moments où nous choisissons de considérer l’humain pour ce qu’il est, plutôt que ce qu’il fait, ne fait pas ou n’a pu faire dans le passé ?

Un jour, quelqu’un d’heureux m’a fait part de son bonheur et de la façon dont il l’avait trouvé, fier d’avoir décidé du chemin, pas imposé ni dicté par qui ou quoi que ce soit. Ce n’était pas dans une boîte de Cracker Jack ni dans une botte de foin, pas plus que dans une bouteille de Grand Marnier... C’était juste un moment. À raconter son histoire. Un moment qui a changé le cours de mon destin à l’époque, chaotique, en un plus doux, plus lumineux.

Le bonheur, ça ne vend peut-être pas. Mais ça paye en maudit, l’instant qui fait la différence dans la vie d’un autre. Ce moment précieux qui trace le chemin de l’avenir pour celui qui marche dans le noir de son propre sabotage, isolé et malheureux... jusqu’à aujourd’hui.

Heureuse. Joyeuse. Libre de choisir. Le bonheur.

Ça sauve des vies, de le raconter. Je vais continuer. Tant que j’aurai ce privilège.

Qui est Éliane Gagnon ?

Née à Montréal en 1985, Éliane Gagnon est actrice.

On l’a vue à la télévision dans Ramdam, dès 2004, puis dans des émissions comme Mémoires vives ou Féminin/féminin.

Au cinéma, elle a tenu des rôles notamment dans Louis Cyr et Jo pour Jonathan.

En 2019, elle a publié le roman biographique Carnets de fuite, dans lequel elle aborde notamment ses problèmes de dépendance et son cheminement vers la sobriété.

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