Avec leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Je promenais le chien en écoutant ma compilation « Génération X – vieilles tounes un peu gênantes », lorsque MC Solaar a chanté ce refrain : « Hard ou classique la musique adoucit les mœurs. » Ce fut l’illumination.

Et si la musique était ce dont le monde avait besoin, là, maintenant ? Parce qu’une chose est certaine : le monde a besoin qu’on lui adoucisse les mœurs, et pas juste un peu. La recette du bonheur se trouve-t-elle dans ce proverbe populaire dont on attribue l’origine parfois à Platon, parfois à Aristote et, somme toute, très peu à MC Solaar ? Serait-ce aussi simple que ça de chasser le marasme ambiant ?

Oui, bien sûr, régler les changements climatiques, l’inflation, la crise du logement et les guerres, ça pourrait aider aussi, mais on serait plus efficaces pour régler tout ça si on se requinquait d’abord avec une solution facile, peu coûteuse, et capable de stimuler notre production de dopamine, de sérotonine et d’endorphines. Alors, faisons jouer de la musique ! Partout ! Comme le fluor, mettons-en dans l’eau potable ! Chaque fois qu’on se verse un verre d’eau ou qu’on prend une douche, hop, surgit en même temps un peu de musique qui nous recharge les mœurs ! Faisons aussi jouer de la musique dans tous les commerces et… euh. Ah.

Oups.

Je me suis emporté un peu, je crois, et le problème est évident : la musique adoucit les mœurs, d’accord, mais laquelle ?

Il y en a déjà qui joue en boucle dans les commerces, mais, de toute évidence, elle ne produit pas le même effet sur tout le monde. Certaines personnes jubilent en entendant des chansons de Noël partout dès le 1er novembre, alors que les citrouilles de l’Halloween ne sont pas encore entièrement ravagées par des écureuils déchaînés (en voilà qui devraient s’adoucir les mœurs). Mais ce n’est pas mon cas. J’ai déjà abandonné mon petit panier par terre, alors que j’attendais en file à la caisse d’une pharmacie. J’ai fui. Je suis sorti de toute urgence pour respirer de l’air frais, et surtout, pour ménager mes tympans. Je n’étais pas encore prêt mentalement à subir hautbois et clochettes, pa-ram-pam-pam-pam.

All I Want For Christmas Is You de Mariah Carey, même le 25 décembre, j’ai de la misère.

Mais je ne suis pas une référence en matière de goûts musicaux ; Nick Cave et PJ Harvey m’adoucissent les mœurs, de même que les Beastie Boys ou le punk féminin de Bikini Kill, Sleater-Kinney ou Bratmobile. (On s’étonnera peu que ce ne soit pas moi qu’on engage pour faire la programmation musicale des épiceries.) La version à la flûte de Pan de What’s Love Got to Do with It de Tina Turner me donne surtout envie d’arracher les haut-parleurs des murs et de les noyer dans une rivière. J’arrive généralement à me retenir, surtout si j’ai mes écouteurs à portée de main et que je peux me détendre avec War Pigs ou une autre vieille chanson de Black Sabbath.

Tous les goûts sont dans la nature, dit un autre proverbe.

Convenons donc, à regret, qu’aucune chanson n’a le pouvoir de rallier l’humanité entière. Même si je suis naïvement porté à croire que All Night Long puisse faire le travail. Qui peut faire la baboune en écoutant cette chanson ? Un autre point non négligeable qui joue en faveur de Lionel Richie : il n’est pas « cancel ».

PHOTO MARIO ANZUONI, ARCHIVES REUTERS

Lionel Richie à la 66e soirée des Grammy, le 4 février. Sa chanson All Night Long pourrait-elle rallier l’humanité entière ?

Parce que oui, il y a un deuxième bémol à mon espoir de sauver le monde par la musique : c’est un milieu où beaucoup de gens ont fait des gestes qui font qu’on n’a plus envie de les entendre nous faire la sérénade. La liste de ces vedettes est si longue que j’aurais pu remplir cette chronique rien qu’avec des noms de famille.

Et c’est un sujet complexe parce que chaque personne a un degré de tolérance différent. On a parfois l’éthique élastique dans nos choix musicaux, même si ça reste compréhensible : on ne peut tout de même pas googler le moindre artiste de notre mix « 90’s karaoké kitsch », avant de l’accompagner en sifflotant, pour s’assurer qu’il n’a pas commis des gestes répréhensibles.

Combien de chanteurs que j’écoute sont de sombres charognes sans que je sois encore au courant ? À l’instar de bien d’autres amoureux de la musique, je suis à cheval sur deux options : essayer de ne pas trop y penser ou en faire une obsession.

Je vous souhaite de trouver la chanson qui vous adoucit les mœurs, qui vous réchauffe le cœur, qui vous réconcilie un peu avec le monde, en espérant qu’elle ne soit pas trop problématique. Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent, comme le chante Stephan Eicher, et on a tous besoin de quatre petites minutes de bonheur une fois de temps en temps. Même si c’est une version à la flûte de Pan.

Qui est Stéphane Dompierre ?

  • Stéphane Dompierre est écrivain, éditeur et chroniqueur.
  • Il a signé plus d’une demi-douzaine de romans, dont Novice, en 2022, ainsi que les recueils de chroniques Fâché noir et Marcher sur un Lego.
  • Il est directeur de la collection La Shop chez Québec Amérique.