Né à la fin du XIXsiècle, le cinéma est un art beaucoup plus jeune que la littérature, le théâtre ou la peinture. N’empêche. Le septième art constitue une formidable caisse de résonance de notre temps.

Bien sûr, le cinéma nous divertit, nous instruit, nous confronte à mille et un sentiments. Mais il est tout autant un instrument de revendication, d’introspection, de confrontation. C’est un vecteur de notre histoire, un reflet de qui nous sommes. Il est un témoin comme un agitateur. Il bouscule et dénonce. Il témoigne sans imposer.

Ce sont quelques impressions qui nous restent de la lecture de Va voir ailleurs, livre de courts et denses essais sur le cinéma de ce début de siècle tel que l’a vécu, ressenti, compris, analysé Guillaume Lafleur, de la Cinémathèque québécoise.

Joli titre que ce Va voir ailleurs. Une sincère invitation à sortir du modus operandi, autant imposé par l’industrie que par les médias de masse, à consommer les œuvres cinématographiques dans un espace-temps très, très restreint.

Un film ne vit pas uniquement à travers l’opinion du spectateur ou du critique. Il trouve aussi, sinon plus, son sens en dialoguant avec son époque, avec d’autres œuvres, avec les mouvements sociaux et bien d’autres éléments.

« J’aborde chacun de mes livres, de mes textes à travers quelques films. Mais ce sont des dizaines de films qui nourrissent mes commentaires sur ces quelques films, dit l’auteur en entrevue. La posture que je prends dans le livre est celle d’un spectateur qui accumule les connaissances sur le cinéma et s’intéresse aussi à la particularité de l’art de filmer. Cette accumulation de visionnements, de strates, de réflexions, de souvenirs d’autres films nourrit le propos. »

Le travail d’analyse de M. Lafleur se fait à travers quelques grappes de textes, écrits dans le passé pour des revues spécialisées ou inédits, sur des films qui se répondent, se parlent, se complètent. Bien sûr, cela demande un effort de concentration. Mais l’analyse est ici fine sans être pointilleuse. Le propos est pertinent sans être pontifiant.

Pour prendre un exemple, sa relecture de Kanehsatake, 270 ans de résistance, documentaire d’Alanis Obomsawin, est brillante, instructive, quant à la posture très assumée et affirmée de la cinéaste face aux racines, profondes, de ce qu’on a appelé la crise d’Oka.

De la même manière, Guillaume Lafleur nous guide à travers trois films roumains pour montrer que cette cinématographie nationale a su résister au rouleau compresseur d’une industrie accro au nivellement par le bas, tout en documentant la fin du régime de Nicolae Ceaușescu et ses lendemains.

Le plus beau là-dedans, c’est que le cinéphile/lecteur pourra retourner plusieurs fois dans l’ouvrage à mesure que ses connaissances cinématographiques prendront de l’étoffe. On gagne à conserver l’ouvrage et à y revenir de temps à autre.

« Je m’adresse aux lecteurs curieux de l’époque dans laquelle ils sont », confie Guillaume Lafleur. Et il a bien raison. Sa proposition est une invitation à une plongée dans un art qui n’a jamais fini de livrer ses secrets.

Extrait

« La circulation facilitée des capitaux semble avoir accéléré une uniformisation des standards de la production, au même moment où les critères déterminant les canons du cinéma d’auteur façonnaient une internationale cinéphile de plus en plus détachée d’une expérience historique singulière. C’est ainsi qu’un courant stylistique lié à une communauté de créateurs de même pays et de même culture se raréfie. Dans ce contexte, le cinéma roumain fait classe à part, en mesurant les contrecoups de la fin du bloc de l’Est. »

Qui est Guillaume Lafleur ?

Directeur de la diffusion, de la programmation et des publications à la Cinémathèque québécoise, Guillaume Lafleur a, depuis 25 ans, publié une centaine d’articles et d’essais tant sur le cinéma contemporain que l’histoire du cinéma québécois, le cinéma expérimental et l’esthétique du film. En 2015, il a publié l’ouvrage Pratiques minoritaires, fragments d’une histoire méconnue du cinéma québécois (1937-1973) chez Varia.

Va voir ailleurs

Va voir ailleurs

Somme Toute

176 pages