Les péquistes auraient bien mauvais genre de s’indigner du passage de Bernard Drainville à la Coalition avenir Québec (CAQ). D’abord, parce qu’il a eu un purgatoire hors de la politique de quelques années. Ensuite, surtout parce que le Parti québécois (PQ) a été formé de transfuges.

René Lévesque a quitté le Parti libéral du Québec (PLQ). Il fut rejoint par des députés de l’Union nationale et du PLQ et s’opposait au « Bill 63 », la première d’une série de lois linguistiques qui allaient être au centre des débats des années 1970.

Et comme il s’agissait d’un nouveau parti, il est arrivé du monde d’un peu de tous les horizons, de la fonction publique comme des universités et, évidemment, des autres partis. Les Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morin, Claude Morin, Camille Laurin et autres qui ont formé le cœur du parti entre sa fondation et la prise du pouvoir, en 1976.

Les transfuges ? C’est la destinée de tous les nouveaux partis, au moins ceux qui n’étaient pas là lors de la Confédération, comme le Parti libéral.

Même Québec solidaire s’est formé avec des gens des groupes populaires, bien sûr, mais aussi plusieurs transfuges du Parti québécois et du Nouveau Parti démocratique.

Les transfuges font partie de la vie politique pour la simple raison que la vie politique doit refléter les changements de la société.

Mais il reste que les transfuges ont une obligation morale : celle d’expliquer pourquoi ils changent de camp. Ne serait-ce que pour montrer que leur « traversée du parquet de la Chambre » n’est pas seulement une affaire d’opportunisme ou de promesse d’avoir la limousine.

René Lévesque a publié Option Québec en quittant le PLQ. Le livre est devenu un classique, il a été réédité plusieurs fois et se retrouve toujours sur les tablettes des bons libraires. Signe qu’il est encore pertinent pour qui s’intéresse à la politique québécoise.

Quand il a quitté le PQ, François Legault a d’abord publié un manifeste, puis, à l’automne de 2013, un livre intitulé Cap sur un Québec gagnant auquel il se réfère parfois encore aujourd’hui.

En France, chaque nouvelle étape de la vie politique est presque toujours accompagnée d’un ouvrage, dont certains sont de véritables œuvres littéraires. (Le récent livre d’Edouard Philippe, après son départ de Matignon, est absolument remarquable.)

Aux États-Unis, le livre fait partie de l’ADN de la politique. On ne peut être candidat à la présidence, ou même au Sénat, sans écrire un livre.

Dès les premiers mots de la Déclaration d’indépendance, on explique que « le respect dû à l’opinion de l’humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation ». Même si cela a été écrit il y a plus de 200 ans, c’est devenu la norme chez nos voisins du Sud.

Alors, pourquoi, de ce côté-ci de la frontière, « le respect dû à l’opinion » n’est-il pas une raison suffisante pour que des transfuges s’expliquent ?

Une raison est la force excessive des partis politiques qui, non seulement ne permettent plus la dissidence, mais même plus le droit de s’interroger publiquement.

On a vu, cette semaine, au Royaume-Uni, un vote à l’initiative des simples députés conservateurs, qui a failli renverser le premier ministre Boris Johnson qui, avec 40 % de députés dissidents, est peut-être mortellement affaibli.

Ça ne demande pas un lourd amendement constitutionnel, juste la volonté politique de redonner du pouvoir aux simples députés.

Au Québec et au Canada, c’est le contraire. Les partis politiques sont plus forts que tout. Et l’allégeance au chef est au premier rang des qualités recherchées chez un candidat.

À Ottawa, le développement politique le plus structurant de la dernière année est sans aucun doute l’entente entre Justin Trudeau et Jagmeet Singh pour permettre aux libéraux de continuer à gouverner jusqu’à la fin du mandat normal de quatre ans.

L’entente a été conclue entre les deux chefs. Ni les députés des deux partis ni même les ministres n’ont été consultés à l’avance. Ils ont appris à 16 h qu’il y aurait une réunion du Conseil des ministres à 19 h puis un caucus à 20 h 30. Pas d’amendement possible. À prendre ou à laisser.

Au Québec, il y a des tests de loyauté au chef. Pour devenir candidat de la CAQ, par exemple, il faut jurer qu’on appuie le troisième lien, quoi qu’on ait pu en dire avant.

C’est au point où les deux principaux transfuges de la cuvée 2022, Bernard Drainville et Caroline St-Hilaire, ont dû répéter exactement la même menterie sur le sujet, soit que le troisième lien est maintenant acceptable parce que sa seconde mouture a une voie réservée aux autobus. Mais c’est seulement aux heures de pointe. Alors que la voie réservée était permanente dans la première mouture. Ce n’est pas plus écolo, ce l’est moins !

Mais, ici, il semble que les transfuges n’ont pas à s’expliquer.