L’ingérence chinoise dans les élections canadiennes est-elle en voie de devenir, pour cette génération de libéraux fédéraux, ce que le scandale des commandites a été pour la précédente ?

Les faits sont certes très différents. Mais il y a beaucoup de ressemblances dans la manière dont le gouvernement a traité la chose et ses conséquences.

À l’époque, le résultat fut une perte de confiance des électeurs et une motion de censure au Parlement qui a fait tomber un gouvernement minoritaire et entraîné une défaite aux élections qui ont suivi.

Évidemment, les faits sont très différents. Pour les commandites, c’étaient des libéraux qui avaient pigé dans la caisse. Aujourd’hui, ce serait plutôt la Chine qui voulait contribuer à la caisse – c’est-à-dire aider des candidats libéraux, dont le premier ministre Justin Trudeau, qui semble considéré depuis longtemps par la Chine comme un bon investissement.

Ce qui est troublant dans la situation actuelle, c’est qu’on voit que le gouvernement libéral a adopté la même stratégie de défense que lors du scandale des commandites. Ça se passe en quatre étapes.

D’abord, on nie tout : « Circulez, y a rien à voir », la situation a toujours été sous contrôle. Puis on commande une enquête interne qui conclut qu’il n’y a pas eu malversation. On soutient ensuite que c’est un secret d’État – la lutte contre les séparatistes entrait dans cette catégorie –, et, finalement, on accuse les adversaires de colporter des rumeurs, quand ce n’est pas de se livrer au salissage.

Le problème, c’est que pendant tout ce temps, le public perd confiance dans le système politique et ses institutions – l’intégrité des élections étant carrément visée dans le cas qui nous occupe. On a vu chez nos voisins du Sud les effets dramatiques que cela peut entraîner.

Tout cela devrait commander une riposte très énergique du gouvernement et de son chef. Mais, au contraire, la réponse du premier ministre Justin Trudeau a été molle, comme si la situation ne justifiait pas qu’il s’y intéresse.

On a même poussé le bouchon en demandant au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d’enquêter non pas sur l’ingérence chinoise, mais sur la source des fuites dans ce dossier. Un peu comme les « plombiers » du président Nixon au temps du Watergate et qui avaient pour mission de « colmater les fuites ».

Pendant ce temps, beaucoup de gens demandent une enquête publique sur toute la question de l’ingérence étrangère dans les élections canadiennes.

On sait qu’une commission parlementaire ne sera pas suffisante puisqu’elle va vite se dissoudre dans la partisanerie. Déjà que des députés libéraux accusent les conservateurs d’être des conspirationnistes et de rejeter, comme Donald Trump, le résultat des élections, on comprend vite qu’une commission parlementaire n’est pas la solution.

Par ailleurs, on a vu le premier ministre Justin Trudeau décréter que s’il y a eu ingérence chinoise, cela n’a pas été suffisant pour affecter le résultat des élections de 2019 et de 2021, reprenant la conclusion d’un groupe d’experts mandaté par le gouvernement.

Malheureusement pour lui – et manifestation typique d’une surdité particulière sur les questions éthiques –, le comité était présidé par l’ancien président de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Morris Rosenberg. Or, la fondation a déjà reçu des sommes importantes d’hommes d’affaires chinois proches du régime.

M. Rosenberg est certainement un homme honorable, mais une petite cloche aurait dû sonner au bureau du premier ministre pour lui faire remarquer que certains pourraient y voir un potentiel conflit d’intérêts. Or, sur ces questions, il ne semble pas y avoir de petite cloche au bureau de ce premier ministre.

Malgré tout, il faudra tenir compte des recommandations de M. Rosenberg, et pas seulement de sa conclusion. En particulier, il a noté une augmentation significative des tentatives – intérieures et étrangères – de perturbation des élections canadiennes. Il recommande donc une surveillance accrue, non seulement de la période électorale elle-même, mais aussi des mois qui la précèdent.

Tout cela milite en faveur d’une enquête publique sur l’intégrité de notre système électoral. Évidemment, ce sera toujours difficile de faire une telle enquête quand une partie substantielle de la preuve devra être présentée à huis clos pour des raisons de sécurité nationale.

Mais difficile ne veut pas dire impossible. La récente enquête du juge Paul Rouleau sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence en est la preuve : elle a exigé d’entendre certains témoignages à huis clos, soit ceux des représentants du SCRS et du Centre intégré d’évaluation du terrorisme (CIET).

Évidemment, une enquête sur l’ingérence chinoise devrait comporter un plus grand nombre de témoignages à huis clos, mais les éléments d’information qui seront ainsi recueillis permettront d’avoir un rapport final plus complet, ce qui est bien évidemment dans l’intérêt public.

Comme dit l’expression anglaise : « Le soleil est le meilleur désinfectant. » Ce n’est que lorsqu’on expose les faits à la lumière du jour qu’on peut tirer les meilleures conclusions.