Pour apprécier la nouvelle politique du gouvernement Legault en immigration, il faut faire comme pour le troisième lien : ne pas penser à tout ce qui a été dit avant et se réjouir qu’en fin de compte, on ait pris la bonne décision.

Mais avant d’oublier tout à fait, il est nécessaire de faire un détour historique un peu long, mais nécessaire.

Parce qu’il faut le rappeler, François Legault a fait non pas une, mais deux campagnes électorales sur le dos de l’immigration. Et ce qui est donc plutôt sidérant dans la nouvelle politique de son gouvernement, ce n’est pas tant ce qu’elle contient que le fait qu’elle est en contradiction aussi flagrante avec ce que disait le premier ministre en campagne.

Avant d’accéder au pouvoir en 2018, M. Legault annonçait déjà qu’il allait sabrer les seuils d’immigration de 20 %. Son principal argument était alors sur le plan des valeurs. Il parlait d’éventuelles enseignantes portant le tchador dans les écoles du Québec et promettait d’instaurer un test des valeurs pour évaluer les nouveaux arrivants.

On cherche encore l’enseignante portant le tchador, mais on sait que le taux de réussite au test des valeurs est de 99,93 % ; bref, il était et demeure totalement inutile, bien qu’il soit peu vexatoire pour ceux qui doivent s’y soumettre.

En passant, au cours de cette campagne électorale, M. Legault lui-même n’aurait pas réussi à un test minimal de connaissances en immigration : il ne savait même pas combien de temps il fallait passer au pays pour obtenir la citoyenneté.

L’automne dernier, M. Legault tablait surtout sur la survie du français. Augmenter les seuils d’immigration, ne serait-ce qu’un peu, serait « suicidaire » pour la nation québécoise, disait-il. Durant plusieurs mois, on allait jouer sur les peurs identitaires les plus lourdes : la « louisianisation », l’assimilation, la peur de disparaître, etc.

M. Legault a même eu sa phase Don Quichotte, quand il s’est attaqué aux moulins à vent de la réunification familiale, en la considérant comme un facteur d’anglicisation entre autres parce qu’elle relève du gouvernement fédéral. L’argument a eu peu de suites parce que, comme le disait le ministre fédéral Pablo Rodriguez : « ça relève de l’amour, pas du français ».

Mais ça n’a pas empêché le premier ministre de faire une campagne électorale en réclamant un mandat fort pour rapatrier tous les pouvoirs en immigration du gouvernement fédéral. Et de répéter chaque fois qu’il le pouvait que 50 000 immigrants par année était un maximum et qu’aller au-delà dépasserait la « capacité d’accueil » de la société québécoise.

M. Legault avait une réponse toute prête au sujet de tout dépassement, soit qu’« à partir du moment où on est capables […] de dire que l’augmentation, c’est seulement des francophones, ça vient complètement changer la situation ». Le seul ennui, c’est que le gouvernement du Québec avait déjà en main tous les pouvoirs pour le faire – en vertu de l’entente de 1991 avec le gouvernement fédéral – et qu’il ne l’a pas fait.

D’autant que, lorsqu’on regarde les chiffres du gouvernement, on voit que la situation n’était pas aussi dramatique pour le français qu’on le prétendait. Ainsi, chez les immigrants économiques, ceux qui sont choisis par le Québec, 88 % connaissent déjà le français. On veut augmenter cette proportion à 96 % en 2027, mais en nombre absolu, c’est environ 5000 personnes en tout, ce qui ne bouleversera pas les équilibres linguistiques.

Mais l’important, c’est que le gouvernement a changé de cap et qu’il a maintenant une politique claire et cohérente qui ne considère plus l’immigration comme une menace, mais plutôt comme un élément de solution. Pour le français aussi bien que pour la pénurie de main-d’œuvre.

Mais la politique de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, va plus loin que les anciens seuils. Elle ouvre la porte à une augmentation substantielle du nombre d’immigrants en excluant les étudiants étrangers dans les établissements québécois du quota des 50 000 nouveaux arrivants.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette

Ces étudiants qui parlent déjà français et auront un diplôme d’un établissement québécois sont, en effet, des candidats idéaux à la résidence permanente et à la citoyenneté. C’est ce qui fait dire à des observateurs avertis de l’immigration qu’on pourrait éventuellement arriver à des taux de 60 000, voire 70 000 immigrants par année.

Reste qu’après des années où le gouvernement de la Coalition avenir Québec avait une politique d’immigration qui consistait à essayer de gérer un problème, on a maintenant une politique cohérente qui voudrait faire partie de la solution. Le changement est majeur et il est bienvenu.

Tout n’est pas parfait et il reste encore des choses à régler. Le dossier des résidents temporaires – qui relève d’Ottawa – et celui de la régionalisation de l’immigration, par exemple.

Pour Mme Fréchette, c’est une fort belle réussite, surtout quand on sait qu’il fallait convaincre son premier ministre de « marcher sur la peinture », ce qui n’est pas dans ses habitudes.

Mais on ne s’en plaindra certainement pas et on ne boudera pas son plaisir de voir ce gouvernement être ouvert à changer d’idée quand cela est aussi justifié et même nécessaire.