L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

Quelques mots entre deux trombes d’eau venue du ciel. Tel un mantra que l’été a répété depuis le début de juin. D’abord la sécheresse et des incendies et ensuite de la pluie durant deux mois.

Les champs dans mon coin de pays sont inondés. Beaucoup de ce qui sort des champs est en voie de pourrir. Ce qui pousse en sol (arbres et plantes) a fait un immense feuillage et les fruits sont gros. Ces derniers sont des malins, ils stockent de l’eau en prévision d’un malheur ou d’un stress. Ça fait aussi des goûts plus fades ; on dit aqueux les vins dont les raisins sont trop gorgés. Ça prend davantage de sel ou de mayo dans les sandwichs aux tomates. Et des napkins aussi.

Puis ce souvenir du début des années 1990 ; de cette inquiétude du niveau bas du fleuve Saint-Laurent. Les plus alarmistes parlaient d’une voie maritime qui ne serait plus navigable à court ou moyen terme tant le débit était bas. On soupçonne que le niveau va bien cet été, merci aux pluies, et aux changements climatiques, paraît-il, on va pouvoir continuer de faire entrer des millions de conteneurs en Amérique venus d’Asie et de pays « émergents » (parce que ça coûte moins cher de produire là) et ainsi sauver l’âme du monde, rassuré par les chiffres. Pour encore quelque temps.

On fait une parenthèse culturelle : le fleuve Saint-Laurent a été nommé ainsi parce que ce serait un 10 août (fête de saint Laurent) que Jacques Cartier, dans son second voyage, serait passé sous le pont qui porte son nom pour nous découvrir, et nous, avec Je me souviens comme devise, on s’est dit que ce serait bien de nommer ce magnifique cours d’eau en se basant sur un argumentaire catholique. Et ce saint Laurent serait Laurent de Rome, un diacre qu’on aurait brûlé sur le gril pour ses croyances ; étrange comme certaines époques se ressemblent (hé… hé…). (Cet aparté est inspiré par des aubergines et des courges sur le BBQ, toujours entre deux averses.) À noter que saint Laurent est aussi le patron des pauvres. Y a des emprises sur soi ancrées plus profondément que TikTok ou Donald Trump, faut-il rappeler. Et puis on oublie un peu que le calendrier n’était pas le même qu’aujourd’hui (le 10 août ne serait peut-être pas un 10 août). Va-t-on réécrire l’histoire ? Du coup, peut-être qu’on pourrait renommer Montréal autrement puisque la ville a été nommée par un monsieur explorateur qui ne fait pas partie des protocoles de représentativité équitables. Je souris ici. Revenons au fleuve.

Quelques recherches et lectures plus tard (sur le PASL, ou Plan d’action Saint-Laurent) en attendant le souper, on constate qu’au milieu des années 1930, le niveau avait été anormalement bas. Même chose au milieu des années 1960. Puis, 13-15 ans suivant ces creux historiques, un pic anormalement élevé. Et ça se poursuit fin 1990 pour une hydraulicité basse et une remontée ces dernières années.

Sans renier la réalité criante, il semble y avoir comme une sorte de pattern. Les effets des changements climatiques devraient être le résultat d’une soustraction entre ce qui est normal et ce qui ne l’est plus. Pas une excuse pour expliquer chaque goutte de pluie.

Ce sont nos vues qui diminuent. Inquiétés par un présent toujours en alarme et dont on a oublié le code. Vivement le retour d’une session parlementaire, des téléromans et du hockey.

J’ai passé une partie de l’été à la pêche. Ici et là, aux quatre coins du territoire. On blâme généralement les niveaux bas des rivières et la chaleur pour la bredouille : « Y a pas d’eau, l’eau est à 26 degrés, les saumons sont en dormance la tête en bas, les truites sont endormies, ça prendrait un coup d’eau, les nuits sont trop chaudes… » Et puis quand toutes les conditions parfaites sont réunies, comme cet été, on invente des excuses ailleurs : un élevage de Terre-Neuve s’est échappé et a contaminé les saumons au Groenland au printemps, une maladie, la reprise de la pêche commerciale, une éclosion de bibittes en retard, en coulisse on blâme aussi des gens avec leurs filets, mais on n’en parlera pas ici.

Donc la pluie comme un baromètre de soi. Il n’y a donc jamais rien de parfait. Bin coudonc. Même les politiciens parlent désormais d’urgence. C’est le boutte de toutte.

Et si on ne comprenait pas vraiment la nature ? Si certaines évidences dans l’obsession contemporaine administrative de tout contrôler nous avaient échappé ?

Peut-être un lien ou des attentes ont-ils été décalés. Peut-être est-il aussi trop tard pour avoir une vue claire ?

Cela dit, parce qu’il faut toujours trouver du bon dans tout : il y a en masse d’eau pour arroser toutes les choses qui brûlent.

Bonne fin d’été !