C’est un casse-tête que la Commission de la représentation électorale doit recommencer chaque décennie. Comment diviser le Québec en 125 circonscriptions en essayant le plus possible de garantir une égalité relative du vote de tous les électeurs et en respectant les communautés naturelles ?

À l’arrivée, ça donne une proposition de carte électorale avec des circonscriptions parfois si étendues qu’elles ne permettront que difficilement à un député de représenter adéquatement ses électeurs.

On ne peut blâmer la Commission qui a travaillé de bonne foi dans le cadre que la loi lui a imposé. Mais on peut commencer à se demander si ce modèle est encore viable.

La norme de base est qu’une circonscription doit compter autour de 50 694 électeurs – soit le nombre total d’électeurs divisé par 125 circonscriptions – avec une variation de plus ou moins 25 %. Donc, en gros, entre 38 000 et 63 000 électeurs.

Mais le modèle est de plus en plus difficile à appliquer. Six circonscriptions actuelles dépassent la variation permise de 25 % et huit circonscriptions sont dans la situation inverse. Elles n’ont pas assez d’électeurs et ont donc un écart négatif par rapport à la norme.

Si on ajoute les circonscriptions que la Commission juge préoccupantes – parce qu’elles sont trop proches de la limite, il y en a 25 qui ne respectent pas la norme ou qui ne la respecteront plus sous peu. Ça veut dire un député sur cinq de l’Assemblée nationale, ce qui est beaucoup.

Une seule exception est prévue dans la loi : les Îles-de-la-Madeleine ont un siège assuré, même s’il n’y a que 11 176 électeurs.

Or, malgré tous les efforts de la Commission, cinq autres circonscriptions auront trop ou pas assez d’électeurs et ne respecteront plus la norme du plus ou moins 25 %.

Bref, elles ne respectent pas vraiment la loi, mais on ne peut pas faire autrement.

Même dans la nouvelle carte électorale, le vote d’un électeur de la circonscription de René-Lévesque, sur la Côte-Nord, continuera d’avoir environ le double du poids de celui d’un électeur d’Arthabaska, dans le Centre-du-Québec, ou de Hull, en Outaouais. Comme quoi l’élastique continuera d’être étiré au maximum.

En fait, la carte électorale montre les changements démographiques qui se produisent au Québec. C’est ainsi que l’île de Montréal et la Gaspésie perdront une circonscription avec la nouvelle carte. Ce qui reflète l’exode vers les banlieues dans le premier cas et le dépeuplement de la région dans le second. En passant, la Gaspésie perdra aussi un siège dans la nouvelle carte électorale fédérale.

Mais l’un des effets pervers de tout cela, c’est de créer des circonscriptions qui deviennent d’énormes entités qui peuvent même chevaucher plus d’une région administrative et où on peut raisonnablement se demander comment le député pourra bien faire son travail, quels que soient sa bonne volonté et son désir de servir ses concitoyens.

Le cas de la Gaspésie est flagrant. La nouvelle circonscription de Matane-Matapédia, par exemple, s’étendra, le long de la route 132 de Sainte-Flavie à Rivière-la-Madeleine, une distance de 243 km.

Au sud, l’autre circonscription de la Gaspésie, qui s’appellera Gaspé-Bonaventure, s’étendra de L’Ascension-de-Patapédia à Grande-Vallée, à plus ou moins cinq heures de route par beau temps.

Il faudrait peut-être se demander s’il ne devrait pas y avoir un autre principe qui guide la confection de la carte électorale en plus de la plus grande égalité possible des votes de tous les électeurs.

Par exemple, ne devrait-on pas songer à un droit des citoyens d’avoir accès à leur député ? Parce qu’un député – surtout, mais pas exclusivement, hors des grands centres –, c’est à la fois un ombudsman, un commissaire industriel, un lobbyiste auprès des réseaux de la santé ou de l’éducation, entre autres tâches.

Prenez les maires des petites villes, par exemple. L’accès à leur député est quelque chose de crucial, puisqu’il peut faire circuler les dossiers « dans la machine » à Québec. Plus la circonscription sera étendue, plus il sera difficile de le rencontrer.

Par ailleurs, la loi contient déjà une exception pour les Îles-de-la-Madeleine. Ne serait-il pas temps d’en envisager d’autres ?

Ainsi, on a déjà suggéré de scinder la circonscription d’Ungava pour donner un siège à l’Assemblée nationale à une population majoritairement autochtone. Ça mériterait certainement d’être discuté.

De même, si on donne de trop grandes circonscriptions à des députés, ne devrait-on pas leur consentir d’office des budgets pour plus de personnel et plus d’antennes du bureau de député dans les régions ?

Actuellement, ces budgets peuvent faire partie d’un marchandage politique puisqu’ils sont déterminés par le Bureau de l’Assemblée nationale, formé de représentants de tous les partis politiques.

Évidemment, une réforme électorale glissera toujours vers le bas de la liste, après tant d’autres priorités. Mais quand on regarde la nouvelle proposition de carte électorale, on ne peut s’empêcher de penser qu’on arrive à la limite de l’acceptable en matière de qualité démocratique.

Il faudrait y penser avant de péter l’élastique.