Dans la vie, il y a de bonnes habitudes à adopter le plus tôt possible. Ainsi, j’ai toujours respecté les conseils des femmes de mon entourage concernant les soins de ma peau. Ne jamais aller au lit sans se démaquiller. Bien hydrater l’épiderme tous les jours. Se protéger du soleil. Les trucs de base, quoi, pour retarder les rides et éviter les boutons.

J’ai aussi mon rituel de l’information. C’est dans la vingtaine que j’ai vraiment commencé à lire les journaux qui étaient en papier dans ce temps-là. Avant, je trouvais que c’était un dada d’adultes trop sérieux. Mais à l’adolescence, je feuilletais Le Journal de Montréal, que mon père achetait tous les jours pour la section Sports et qu’il laissait sur la table le matin quand je me réveillais bien après lui. Chez nous, on n’aimait pas le format papier de La Presse, que certains lisaient comme d’autres sont capables de replier une carte routière sans sacrer, et personne ne parlait jamais du Devoir.

Mes beaux-parents étaient abonnés à tous les journaux montréalais quand j’ai rencontré leur fils il y a 25 ans, entre autres parce que ma belle-mère était une fanatique des mots croisés. Comme j’étais très souvent chez lui, j’ai développé un goût pour le café fort de la maison et pour le bruit des journaux que les livreurs lançaient sur la porte à l’aube. Lire les journaux le matin est étrangement devenu un plaisir, malgré toutes les mauvaises nouvelles. Parce que le soir, quand je soupais avec mon chum et ses parents, cela alimentait nos meilleures discussions.

Je m’ennuie tellement de nos chicanes sur l’actualité.

Comme tout le monde, j’ai migré vers le numérique, mais mon rituel d’information reste essentiellement le même : je commence mes journées en lisant les principaux journaux du Québec, un peu des États-Unis et de l’Europe, tout en syntonisant la radio à Paul Arcand ou à Patrick Masbourian selon mon humeur, car je préfère bien souvent entrer dans la réalité le matin par la lecture en silence du journal. Je suis née au siècle dernier, et même au dernier millénaire.

Après le travail, mon chum et moi préparons le souper en écoutant Patrick Lagacé ou en rattrapant des balados et des émissions, et je ne me couche pas sans avoir regardé les téléjournaux. Les fins de semaine, je lis mes mensuels préférés et la nouvelle infolettre Dèyè Mòn Enfo de mon ami, le journaliste Étienne Côté-Paluck, qui me renseigne sur ce qui se passe de bon ou de mauvais en Haïti. Ce collectif de journalistes haïtiens est une initiative que j’ai vraiment envie d’encourager, parce que c’est excellent, hors des sentiers battus, alors j’ai payé la contribution demandée de 60 $ pour un an, parce que je veux que ce regard sur le terrain existe.

Au travers de tout ça, des articles me parviennent par les réseaux sociaux, en particulier quand ils sont viraux ou relayés par des utilisateurs que j’aime suivre et qui sont de bons prescripteurs, me faisant découvrir de nouvelles sources. Mais comme c’est un puits sans fond, accompagné d’un bordel de désinformation et de niaiseries irrésistibles, je fais tout pour contrôler le temps que j’y passe. J’ai une seule vie à vivre.

Pas à la mode, mais au courant

C’est mon boulot de m’informer, mais je pense que j’aurais la même routine si j’étais fleuriste. J’aimais ça avant d’être journaliste, j’avais cette curiosité pour la discussion publique et l’envie de comprendre ce qui se passe dans ce monde. D’être non pas à la mode, mais au courant, comme on dit. Je crois d’ailleurs que la majorité des lecteurs et lectrices qui m’écrivent ont des habitudes semblables, simplement par la qualité de leurs courriels.

J’utilise les réseaux sociaux essentiellement pour rester en contact avec mon entourage et mon réseau professionnel – aussi pour espionner les artistes qui font des annonces ou des scandales – mais j’évite d’aller lire les commentaires sous les articles, qui sont toujours une foire d’empoigne. Avec le temps, chacun développe sa propre hygiène numérique.

Tout ça pour dire que le blocage des nouvelles au Canada par Meta, en réponse au projet de loi C-18, n’affecte pas beaucoup mon rituel d’information, même si je ne peux plus partager mes textes. J’ai toujours été assez mauvaise de toute façon pour faire mon autopromotion.

C’est que je n’aime pas trop y aller à la pièce dans le feu de l’action sans savoir d’où provient la nouvelle. J’ai besoin d’un environnement, de plusieurs environnements en fait, pour ne pas dire d’un écosystème. J’ai envie de voir ce qu’un média met à la une, ses choix éditoriaux, comment il couvre différents aspects de la société en dehors de la nouvelle, comment il organise le chaos – ou comment parfois il le crée. Car critiquer les journaux fait partie du plaisir de les lire. Il y a des journalistes et des chroniqueurs dont je ne veux rater aucun texte, qui sont des rendez-vous. J’aime l’idée d’une équipe qui travaille de concert pour créer cet environnement. Et ça existe toujours, même si des médias ferment un peu partout en Amérique du Nord. Principalement en périphérie des grands centres, ce qui est un drame, parce que ça creuse les clivages, et depuis trop longtemps.

Mais on n’est pas encore en Corée du Nord, une analogie que les paranos aiment utiliser quand ils n’apprécient pas les contenus qui contredisent leur vision du monde, alors qu’à peu près tous les types de contenus étaient disponibles jusqu’à tout récemment.

Il est toujours possible d’aller s’informer à la source des médias et la liberté de la presse est maintenue, que je sache.

Néanmoins, j’avais de grandes réserves sur le mouvement de boycottage de Meta en appui aux médias le 15 septembre dernier. Même moi, je n’ai pas pu le faire, car je devais organiser une soirée d’anniversaire et contacter quelqu’un pour un article. Des tas d’organismes et d’entreprises n’ont que les réseaux sociaux pour rejoindre le public, on ne peut pas leur demander de s’en priver.

La raison pour laquelle il est si difficile de quitter ces plateformes, même pour une seule journée, est qu’elles sont devenues les journaux de nos vies personnelles. Je pense que ma fonction préférée sur Facebook est « souvenir », qui me rappelle ce que je faisais il y a cinq ou dix ans – je suis sur Facebook depuis 2009, ça commence à faire beaucoup d’archives. Facebook, c’est aussi un bottin, des petites annonces, le contact avec la famille dans le monde, des alertes sur les bons shows dans notre ville, des groupes où l’on retrouve son chat perdu. Facebook a beaucoup d’œufs dans son seul panier, que Meta protège en rachetant toute concurrence. C’est son avantage, mais c’est aussi son danger, et tous les producteurs de contenus devraient en être conscients.

Tout le monde, en fait, devrait en être conscient, car c’est à partir de nos vies, que nous leur avons offertes sur un plateau d’argent, qu’ils ont créé la publicité ciblée et qu’ils sont en train de développer l’intelligence artificielle sans que personne n’ait jamais donné son consentement éclairé à cela.

Contrairement à ce que l’on a beaucoup entendu, nous ne sommes pas les produits sur ces plateformes : nous sommes la ressource première. En ce sens, cette décision en Norvège d’interdire la publicité invasive ciblée des utilisateurs sans leur consentement est plus qu’intéressante et a même été saluée par Amnistie internationale1.

Je crois que ce sont davantage les gens qui s’informent principalement sur les réseaux de Meta qui vont s’ennuyer dans ce blocage, peut-être même ceux qui détestent les « merdias », car on se demande bien comment ils vont pouvoir partager l’objet de leur haine dans ce contexte. À quelque chose malheur est bon, cet arrêt brutal et forcé nous donne une pause des trolls qui vont peut-être s’entredévorer, en l’absence involontaire de leurs meilleurs ennemis. N’empêche, ma propre mère commence à trouver ça plate, Facebook, depuis qu’elle ne voit que des photos de mon chien que pourtant, elle adore.

1. Lisez le texte d’Amnistie internationale

Le poids du temps

Même les spécialistes de ces enjeux ne savent pas trop où le bras de fer entre les géants numériques et le gouvernement canadien va nous mener. Il est certain cependant que l’expérience des utilisateurs de Meta va être appauvrie, comme l’a souligné Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM, dans plusieurs entrevues. On est en train de voir ce que ça donne, pendant les incendies de forêt, le séisme au Maroc ou l’inondation catastrophique en Libye, le blocage des nouvelles. Mais si vous voulez mon avis, cet appauvrissement a commencé depuis quelques années. On oublie un truc dans tout ça : les premiers réseaux sociaux ont vieilli eux aussi. Facebook et X ont presque 20 ans. En l’absence de toute législation, ils ont acquis un pouvoir énorme et les gouvernements sont très en retard pour les encadrer, mais ils ne sont pas à l’abri d’une crise eux non plus. Car en Europe, et bientôt aux États-Unis, on veut enfin serrer la vis.

Les réseaux sociaux ne vont jamais disparaître, ils font intimement partie de nos vies, on ne peut plus s’en passer, je crois même qu’ils seront essentiels aux défis planétaires qui nous attendent, mais rien ne nous oblige à fréquenter ceux-là en particulier, ces environnements-là ne sont pas des fatalités.

En vérité, ça fait un bout de temps que les plus jeunes ont migré vers d’autres applications, tandis que les vedettes et les journalistes fuient de plus en plus X, qui n’est plus une agora selon moi, mais un cirque où l’on observe des utilisateurs se mettre en gang pour taper sur des cibles. J’évitais ce réseau bien avant son rachat par Elon Musk, parce que la violence est dans son ADN. Même Donald Trump, banni par Twitter et gracié par Musk, n’y revient pas, ayant créé son propre réseau social.

D’ailleurs, l’absurde combat qui devait avoir lieu entre Musk et Zuckerberg me rappelle la célèbre rivalité entre Bill Gates et Steve Jobs au siècle dernier, en plus idiot. Je ne sais pas ce qui finira par calmer ces garçons qui tiennent le monde entre leurs mains, mais il serait temps que le monde réagisse, et pas seulement en se fâchant sur leurs plateformes, mais plutôt par des lois et des impôts.

Après 20 ans, nous avons développé des habitudes, sinon des dépendances, et beaucoup de gens sont mûrs pour des changements ou de nouvelles plateformes, comme La Presse s’est refait une beauté numérique il y a 10 ans, et comme j’ai introduit la crème de nuit rétinol dans ma routine esthétique.

Mais plus que jamais, j’ai besoin de conserver mes rituels.

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