Dans sa hâte à vouloir régler le cas du tramway de Québec et du maire Bruno Marchand – qu’il n’a jamais beaucoup apprécié –, le premier ministre François Legault aura créé toutes sortes d’autres problèmes. En particulier, il mine l’indépendance de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) à qui il a donné six mois pour examiner le dossier.

D’abord, il y a des conflits d’intérêts possibles et même évidents. Quand on demande à un organisme de jouer un rôle de consultant dans un dossier comme le tramway, il faut s’assurer qu’il ait les mains libres. Qu’il pourra recommander ce qu’il estime être la bonne solution, que cela plaise au donneur d’ordres ou pas.

Or, il y a un lien très direct entre le premier ministre et les hauts dirigeants de la Caisse. C’est le conseil d’administration de la CDPQ qui nomme le président, comme le prévoit la loi. Mais ce choix doit être entériné par le gouvernement.

Dans les faits, un président qui s’opposerait ouvertement aux vues du gouvernement ne pourrait rester en fonction. Dans une question comme celle du tramway, il est clair que ce lien va jouer un rôle qui peut être déterminant.

Il y a, évidemment, un conflit d’intérêts commercial. La Caisse n’est pas un acteur neutre dans ce dossier. Elle a un produit à vendre : le REM qui est, bien évidemment, un concurrent direct du tramway que voudrait construire la Ville de Québec.

La Caisse n’a jamais caché son intention de trouver d’autres marchés pour son REM. Toujours avec la même technologie, soit des trains sans conducteur et avec une emprise dont elle est propriétaire, ce qui signifie presque certainement qu’il serait en hauteur.

On visait les grandes villes d’Asie qui n’ont que peu ou pas de systèmes de transports en commun. Mais comme on n’a toujours pas de commandes, Québec serait un beau prix de consolation.

Chose certaine, il existerait toujours un doute sur l’évaluation que ferait la Caisse de dépôt du projet de tramway en sachant qu’elle a un autre projet dans sa « salle d’exposition ». Même si on peut raisonnablement penser qu’une cicatrice de béton comme celle du REM ne serait pas d’emblée acceptable dans une ville patrimoniale comme Québec.

Enfin, il y a la question de la compétence. D’abord, dès le début du projet, la Caisse s’était vantée de pouvoir le réaliser « dans les budgets et dans les délais ». Elle n’aura respecté ni l’un ni l’autre – même si on peut convenir que les dépassements de coûts dans les grands projets sont plus la norme que l’exception.

Mais il faut quand même noter que le REM actuellement en service n’est qu’une petite partie de ce qui était prévu – 17 km sur 57 – et que la desserte de l’aéroport Montréal-Trudeau ne doit être terminée qu’en 2027, alors qu’elle était la commande initiale du gouvernement du Québec.

De même, le dossier de la Caisse (par sa filiale CDPQ Infra) comme opérateur du REM est loin d’être reluisant quand on regarde le nombre de pannes.

Enfin, la Caisse de dépôt n’a pas beaucoup de compétences à l’interne sur tous les autres aspects qui doivent être étudiés en plus du mode de transport. On parle d’urbanisme, d’impacts sur l’environnement, sur la démographie, sur la mobilité, sur les politiques de logement.

Des sujets qui ont déjà été étudiés à fond par les meilleurs experts, qui ont tous conclu la même chose. Soit que pour la région de Québec, en tenant compte de tous les facteurs, le tramway était le meilleur projet possible.

Ça fait une décennie qu’on fait des études sur la question et c’est à se demander ce que la Caisse pourra trouver en six mois qui sera très différent de ce qui s’est déjà écrit.

Et c’est ce qui est le plus troublant dans toute cette affaire. Le gouvernement semble avoir déjà pris sa décision : trop cher et, politiquement, toujours aussi controversé. Même si on ne peut pas nier le fait que l’inflation cause des dépassements de coûts dans tous les grands projets aujourd’hui. On n’a qu’à regarder le plan stratégique d’Hydro-Québec pour s’en convaincre.

Dans le contexte, la commande faite à la Caisse semble être une commande politique de trouver un moyen de confirmer la décision qui a déjà été prise par le premier ministre.

C’est faire bien peu de cas du principe de l’autonomie municipale. Mais aussi – et c’est le plus potentiellement dommageable –, ce qui est en cause est l’autonomie de la Caisse de dépôt elle-même, qui se trouve à devenir une sorte de caution pour les décisions les plus politiques du gouvernement.

Personne ne va sortir gagnant d’une Caisse de dépôt qui deviendrait une sorte de « think tank » au service du parti au pouvoir.