C’est la solution de mobilité dont on parle trop peu. Pendant que les débats sur les pistes cyclables, le transport collectif et les travaux routiers enflamment l’espace public, l’autopartage, lui, passe largement sous le radar.

C’est à déplorer. Parce que même le plus convaincu des écolos a parfois besoin d’une auto pour cueillir un meuble chez IKEA, visiter un ami au chalet ou emmener la marmaille aux glissades d’eau.

Pouvoir compter sur une solution d’autopartage est d’ailleurs un facteur essentiel pour convaincre les ménages de renoncer à leur propre véhicule.

Pour la société, les bénéfices sont importants. Au Québec, le parc automobile croît plus vite que la population. Cela cause des problèmes de trafic, de stationnement, de sécurité, de pollution, de sédentarité.

Combattre l’équation « un individu = une voiture » devrait donc être une priorité absolue, devançant même l’électrification du parc automobile (qui est toutefois essentielle).

Considérant cela, il est troublant de constater que les différents ordres de gouvernement ne font pas toujours des pieds et des mains pour accommoder les opérateurs d’autopartage et leurs usagers.

Au Québec, l’acteur dominant est Communauto, qui est en situation de quasi-monopole depuis que Car2Go a cessé ses activités en Amérique du Nord en 2019.

L’entreprise étend sans cesse ses tentacules et est désormais présente dans six villes (Montréal, Québec, Sherbrooke, Gatineau, Trois-Rivières, Victoriaville).

Communauto compte pas moins de 125 000 usagers, dont 105 000 à Montréal. Dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, pas moins du tiers des ménages l’utilise.

Comme 80 % des usagers de Communauto n’ont pas de voiture, l’entreprise contribue à retirer des dizaines de milliers de véhicules de nos rues. Ce n’est pas rien. Pourtant, l’opérateur se heurte à des obstacles frustrants. Le plus important est sans doute l’accès aux voitures.

Avec la perturbation des chaînes d’approvisionnement, on sait que tout le monde peine à se procurer un véhicule depuis quelques années.

Mais la situation est pire pour Communauto. Les concessionnaires préfèrent réserver leurs véhicules pour les particuliers parce qu’il est plus facile de leur vendre des extras comme des services d’entretien et limitent le nombre de voitures dirigées vers les parcs de véhicules commerciaux.

Cette année, Communauto visait à ajouter 1150 véhicules à son parc montréalais – et voulait les rendre disponibles avant l’été, la grosse saison d’utilisation. Elle n’en a mis pour l’instant que 700 en circulation et croit pouvoir atteindre 850 d’ici la fin de l’année.

C’est dommage. L’autopartage connaît un essor fulgurant (croissance d’environ 30 % par année), mais cet élan aussi enthousiasmant que nécessaire est freiné par le manque de véhicules alors qu’il devrait être accéléré.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique, martèle sur toutes les tribunes qu’on devrait envoyer les véhicules en priorité à l’autopartage, puisque chacun d’entre eux profite à une trentaine de ménages plutôt qu’à un seul.

Les bénéfices sont encore plus évidents pour les véhicules électriques partagés, qui roulent beaucoup plus souvent que les véhicules des particuliers et contribuent donc à réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce cas, Québec a une occasion en or d’agir. Avec sa norme sur les véhicules zéro émission, actuellement en révision, le gouvernement du Québec accorde des crédits aux constructeurs qui vendent des véhicules électriques. Il serait très simple d’accorder encore plus de crédits aux véhicules destinés à l’autopartage. C’est ce que recommande notamment le Conseil régional de l’environnement de Montréal dans un mémoire récent⁠1.

Autre illogisme : un acheteur de véhicule électrique peut généralement bénéficier d’une subvention de 7000 $ au provincial et de 5000 $ au fédéral. Communauto peut toucher l’aide provinciale, mais l’aide fédérale est limitée à un maximum de 10 véhicules par année. Encore ici, on favorise l’usage individuel plutôt que collectif.

Les opérateurs d’autopartage se heurtent également à des défis pour trouver des stationnements, déplacer les véhicules lors du déneigement et recharger leurs véhicules électriques. La Ville de Montréal est clairement en mode collaboration, mais il reste des éléments irritants. Simplement poser des panneaux orange pour indiquer les heures du déneigement, par exemple, cela peut convenir pour un particulier dont la voiture est stationnée devant chez lui, mais pas pour un opérateur d’autopartage.

Par des actions concrètes, Montréal et Québec devraient envoyer le message qu’ils déroulent le tapis rouge à l’autopartage. Cela permettrait à Communauto de pouvoir répondre correctement à l’explosion de la demande, mais aussi, peut-être, de convaincre un deuxième acteur de s’installer dans la métropole ou ailleurs au Québec. Cela rendrait le marché plus dynamique, au bénéfice des usagers.

À l’ombre de l’autopartage traditionnel, un autre acteur s’implante discrètement : Turo. Ce service permet aux particuliers de partager leur véhicule lorsqu’ils le souhaitent. L’entreprise dit avoir doublé tant le nombre de locateurs que le nombre de locataires au Canada l’an dernier, y compris au Québec.

Ce service a l’avantage de donner accès à une grande diversité de véhicules. Il permet aussi de maximiser l’utilisation de voitures qui, sinon, resteraient stationnées 95 % du temps. Cela fait partie des solutions qui auraient avantage à être mieux connues.

Il ne faudrait pas grand-chose pour faire du Québec un paradis de l’autopartage. Qu’est-ce qu’on attend ?

1. Consultez l’avis du CRE-Montréal