France Labelle aurait toutes les raisons de se décourager, ces temps-ci.

« Les failles du système s’agrandissent de plus en plus », dit la cofondatrice du Refuge des jeunes, en rappelant qu’au dernier dénombrement, à Montréal, près de 5000 personnes vivaient dans la rue. C’est la pointe de l’iceberg, dit-elle.

« De 200 à 300 jeunes [à la création du Refuge], on est, 35 ans plus tard, à des milliers. L’itinérance, ça existait, mais c’était beaucoup plus petit. Il y avait peu de jeunes, peu de jeunes femmes, peu de personnes âgées. Mais tout s’est aggravé », dit France Labelle, qui cite aussi l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile chez les jeunes que le Refuge accueille.

Or, elle ajoute qu’elle n’a jamais été ni optimiste ni pessimiste. Elle se décrit comme réaliste et déterminée.

« Je n’ai jamais pensé que parce que ça va plus mal, il ne faut pas s’en occuper. Ce n’est pas le temps de se taire non plus », dit la femme.

Ça tombe bien : elle ne s’est jamais vraiment tue. Elle raconte que lorsqu’elle était jeune, ses enseignants l’exhortaient souvent à garder le silence. « Je disais : je vais me taire, mais… je veux juste dire que… », relate-t-elle en riant.

À 68 ans, la directrice générale du Refuge des jeunes ne se tait toujours pas pour la cause qu’elle défend : les jeunes hommes de la rue et, de manière plus générale, la pauvreté et les injustices.

France Labelle aurait pu enseigner l’histoire, mais des études en psychoéducation l’ont finalement menée à cofonder le Refuge des jeunes en 1988. La mission de l’organisme : venir en aide à de jeunes hommes en difficulté et sans-abri.

Quand la directrice générale de l’organisme part en congé de maternité un an plus tard, France Labelle se demande qui sera « assez fou » pour prendre sa place à la tête d’un organisme sous-financé et en déficit, de surcroît.

« La foudre m’a frappée ! J’ai vu que c’était moi, la folle désignée, et je me suis dit que j’allais assumer l’intérim pendant un an. Je ne suis jamais repartie », relate-t-elle.

Et sa fougue ne l’a jamais quittée. Sous sa direction, l’organisme a aidé des dizaines de milliers de jeunes et a servi, l’an dernier seulement, plus de 22 000 repas.

Elle rappelle les propos du ministre Lionel Carmant qui a exhorté il y a quelques mois les élus municipaux à « baisser le ton » en matière d’itinérance.

Non ! Non ! Non ! Ce n’est pas le temps de se calmer ! Ce n’est pas le temps d’être enragé, mais quand la tempête se lève, il faut ramer.

France Labelle

Face à la crise du logement, aux failles du système de santé, à l’augmentation de l’itinérance, elle oppose la force du milieu qu’elle connaît bien.

« On est des milliers de travailleurs communautaires qui représentent une force incroyable auprès de ces personnes-là. C’est ça, la bonne nouvelle », ajoute-t-elle.

France Labelle n’est pas bien différente de celle qu’elle était adolescente et qui voulait « changer le monde ». Les larmes lui viennent quand elle parle des plus pauvres.

« Ça ne doit pas être inégal tout le temps, partout », s’indigne-t-elle, avant de revenir à « la beauté » : montrer à quelqu’un comment prendre le métro, dire « on est là » à un jeune qui se présente au Refuge, lui dire « tu vaux la peine ».

« C’est ça qui, dans la tempête, rend les choses plus belles, meilleures et éventuellement différentes. Et de temps en temps, c’est d’aller s’asseoir devant un ministre et de dire : vous vous trompez. Vous voulez que je me taise ? Non, je ne me tairai pas. »

Qui est France Labelle ?

  • Née à Montréal en 1955
  • Titulaire d’un baccalauréat en enseignement de l’histoire de l’Université du Québec à Montréal et d’une scolarité de maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal
  • Cofondatrice du Refuge des jeunes et directrice générale depuis 1992