L’avenir de Justin Trudeau alimente les discussions de coulisses dans les rangs libéraux depuis les dernières élections, même si le principal intéressé maintient qu’il reste en selle. La question qui revient sur les lèvres de beaucoup de gens : Justin Trudeau devrait-il céder sa place à la lumière des sondages défavorables ?

Un nouveau leader pourrait-il redorer le blason du Parti libéral du Canada à temps pour affronter Pierre Poilievre, déjà gonflé à bloc ?

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Accompagné de sa femme, Sophie Grégoire, Justin Trudeau célèbre sa victoire électorale avec ses partisans, à Montréal, en octobre 2015.

Justin Trudeau a permis de relancer un Parti libéral moribond en 2015 en menant une campagne énergique et positive qui a débouché sur une impressionnante victoire, rappelle l’analyste Scott Reid. « De quoi aurait l’air le Parti libéral aujourd’hui sans Justin Trudeau ? Quelles seraient ses positions ? Il est impossible de répondre à ces questions sans avoir un autre chef.

« Il y a une crainte réelle que les gens n’écoutent plus ce que dit Justin Trudeau. Il pourrait trouver un remède contre le cancer et les gens ne lui accorderaient aucune valeur. »

La liste des prétendants au trône est bien connue : la ministre des Finances, Chrystia Freeland ; le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne ; la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly ; la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand ; et l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney.

Mais Justin Trudeau demeure le meilleur atout du Parti libéral, selon l’ancien stratège Jeremy Ghio.

Il n’y a personne de mieux placé au sein du parti que Justin Trudeau pour gagner la prochaine élection.

Jeremy Ghio, ancien stratège libéral à Ottawa et directeur de TACT Conseil à Montréal

En entrevue, il analyse froidement la situation.

« La question est assez simple : est-ce qu’il y a un leader anglophone de l’extérieur du Québec qui ferait mieux que Justin Trudeau au Québec ? La réponse, c’est non. Est-ce qu’il y a un Québécois qui ferait mieux que Justin Trudeau dans le reste du Canada ? Les ministres François-Philippe Champagne ou Mélanie Joly feraient-ils mieux que Justin Trudeau dans le reste du pays ? Je ne crois pas que la réponse à cela est oui. »

Cela dit, M. Ghio estime que les libéraux font fausse route s’ils croient pouvoir convaincre les électeurs en comparant Pierre Poilievre à Donald Trump. Il avance que Justin Trudeau, s’il reste en poste, doit mettre davantage de l’avant son équipe de ministres. Car à l’heure actuelle, le Parti conservateur est devenu le parti d’un seul homme : Pierre Poilievre.

« Ils sont où, les ministres ? Le contraste pourrait être frappant avec le Parti conservateur. Qui pourrait être ministre dans ce parti ? Rachael Thomas va être ministre du Patrimoine ? On ne parlera plus français, ça ne prendra pas de temps ! Justin Trudeau a fait gagner tout le monde en 2015. Maintenant, ce sont les ministres qui doivent contribuer à faire gagner le monde. »

Il souligne que Pierre Poilievre a réussi depuis qu’il est chef conservateur à couper l’herbe sous le pied des libéraux en grugeant dans trois segments de la population canadienne qui constituaient la force du vote libéral : les femmes, les jeunes et les minorités ethnoculturelles.

« Si on enlève cela aux libéraux, il ne leur reste plus grand-chose. Si Pierre Poilievre est capable de s’assurer ces trois groupes, il passe. » M. Ghio invite aussi les stratèges libéraux à simplifier leurs slogans pour rivaliser avec le chef conservateur. « Au lieu de dire “Bâtir plus de maisons plus rapidement”, pourquoi ne pas dire ”Plus de maisons plus vite” ? C’est plus simple. Ça les aiderait à être plus dynamiques ! »

Changer de chef permettrait peut-être de donner un nouvel élan au Parti libéral, mais l’effet de nouveauté a ses limites, surtout si le nouveau ou la nouvelle leader a travaillé de près avec le premier ministre.

En outre, les libéraux risqueraient de sacrifier leur nouveau chef au prochain scrutin, ce qui pourrait handicaper tout effort de reconstruction.

Selon Greg MacEachern, un ancien proche collaborateur de deux ministres dans le gouvernement de Paul Martin, changer de chef à l’approche d’un scrutin est une manœuvre risquée.

« Aujourd’hui, je crois que Justin Trudeau doit rester. Oui, j’aime bien le chef. Mais c’est plus que cela. Je crois à la valeur d’un premier ministre sortant. En 1993, si Brian Mulroney était demeuré en poste, oui, le Parti progressiste-conservateur aurait perdu. Mais il n’aurait absolument pas été réduit à deux sièges, comme ce fut le cas sous Kim Campbell », estime M. MacEachern, originaire de la Nouvelle-Écosse et aujourd’hui président de la firme KAN Strategies.

Il avance que tous les efforts doivent être déployés pour s’assurer de laisser le Parti libéral « dans la meilleure position possible » afin d’éviter le scénario de 2011, quand les libéraux ont terminé la soirée électorale avec seulement 34 sièges.

Dans les années 1980, 1990 et au début des années 2000, le Parti libéral a toujours eu un successeur potentiel prêt à prendre la relève. Ce n’est pas le cas en ce moment. Il y a des noms qui circulent. Mais il n’y a personne qui s’est encore imposé. Aussi, il ne faut jamais, jamais sous-estimer Justin Trudeau.

Greg MacEachern, président de la firme KAN Strategies

Si le premier ministre mène une campagne du tonnerre, il pourrait peut-être contraindre Pierre Poilievre à former un gouvernement minoritaire à l’issue du prochain scrutin. Et qui sait, imiter ensuite son père, qui a été réélu à la tête d’un gouvernement majoritaire en 1980 après avoir cédé le pouvoir à un gouvernement minoritaire conservateur mené par Joe Clark à peine six mois plus tôt. Mais aux yeux des sceptiques – ils sont nombreux –, ce serait pour lui un miracle, tant Justin Trudeau affronte un vent de face.