« Ma blonde et moi, on ne veut plus que notre fils participe aux activités de récompense liées aux écrans à son école. On va bientôt le demander par écrit à la direction et en parler à d’autres parents. »

Le père qui nous a fait cette annonce ne diabolise pas la technologie, même s’il a lancé une pétition demandant l’interdiction des cellulaires personnels en classe, quelques jours avant que le ministre de l’Éducation n’annonce que ce sera fait. Étienne Bergeron dirige avec enthousiasme le laboratoire créatif et d’impression 3D de l’école secondaire Monique-Proulx, à Warwick. Mais l’enseignant d’histoire et géographie voit à quel point les élèves gavés d’électronique en souffrent. Depuis l’an dernier, il donne des conférences intitulées « Accro, mon ado ? » pour aider les parents à redresser la barre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Étienne Bergeron, enseignant à l’école secondaire Monique-Proulx, à Warwick

Plus le numérique gruge de place dans certains collèges, plus la tâche se complique pour les familles, constate-t-il. Entre autres parce que les devoirs et leçons servent communément de prétexte pour rester branché le plus longtemps possible. Au détriment d’autres activités.

Mère de deux adolescents, Nancy Pelletier en témoigne. Les écoles privées que fréquentent ses enfants ne poussent pas les technologies à outrance, évalue-t-elle. Mais son aîné lui a trop souvent répondu : « Tu ne peux pas m’enlever mon iPad d’école, parce que j’ai encore des devoirs à terminer avec lui. »

« C’est difficile de savoir si ça s’allonge parce qu’il travaille, joue ou clavarde », se désole l’avocate montréalaise.

Le scénario est classique, selon une étude sur l’intégration des tablettes faite dans 18 écoles québécoises. À l’extérieur des heures de classe, les élèves interrogés passaient trois fois plus de temps à s’amuser avec leur appareil qu’à s’en servir pour des travaux scolaires.

« Des fois, je reçois plus de 400 messages dans la soirée […] C’est compliqué de faire mes devoirs », a admis un jeune dans un groupe de discussion.

Un autre a déclaré : « Les fins de semaine, avant, je faisais plus de sport, maintenant, je suis plus sur mon iPad. »

Pourtant, plusieurs familles (et directions d’école) pressent les enseignants de « multiplier les activités réalisées sur les appareils électroniques afin de rentabiliser l’achat des parents, trop souvent sans égard à la réelle utilité pédagogique », déplore la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec dans un mémoire1.

Comme des amphétamines

Tout ce papillonnage est inefficace et trop stimulant, avertit Marie-Josée Michaud, spécialiste clinique au centre de traitement pour adolescents Le grand chemin, à Québec.

« On a juste à s’imaginer en train de peser sur notre bouton de TikTok pour que de petites doses de dopamine nous explosent dans le cerveau. C’est ce qui rend les écrans aussi addictifs. Les stimulations qu’ils procurent peuvent ressembler à celles des amphétamines », précise l’intervenante.

« C’est encore plus irrésistible pour un adolescent, puisque c’est un être de plaisir, dont le cerveau n’est pas encore assez mature pour penser aux conséquences. »

Ce n’est pas pour rien que les créateurs de ces technologies envoient leurs enfants dans des écoles low-tech de la Silicon Valley [en Californie], avec des tableaux verts, des craies, du papier et des crayons2.

Marie-Josée Michaud, spécialiste clinique au centre de traitement pour adolescents Le grand chemin

À l’autre bout des États-Unis, au Massachusetts, d’autres parents ont tenté de découvrir combien de temps leur enfant passait sur son Chromebook à l’école primaire. Sans succès. En juin, après des semaines de démarches, la commission scolaire de Falmouth s’est déclarée incapable de le calculer et, donc, de générer des rapports individuels.

Les familles québécoises ne sont pas mieux renseignées à ce sujet et ne peuvent généralement pas installer d’application de contrôle parental sur les appareils scolaires, même lorsqu’ils ont payé ces derniers.

« C’est hallucinant de désengagement ! s’indigne Étienne Bergeron. L’école doit absolument être capable de rendre des comptes et d’offrir des garanties. On ne tolérerait jamais que les élèves puissent avaler des hot-dogs et des Jos Louis à volonté à la cafétéria de l’école, sous prétexte qu’elle fournit aussi de la salade. »

1. Présenté en 2019 au Forum d’experts québécois sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes

2. « Silicon Valley parents banning tech for their kids », BBC, 2021

Quelques conseils

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pour certains élèves, devoirs et leçons peuvent servir de prétexte pour rester branché le plus longtemps possible.

Très peu de parents contactent l’école au sujet des devoirs sur écrans, mais certains demandent conseil, rapporte Nicolas Mouradadé, membre de la direction du collège Sainte-Anne, à Lachine. Ce dernier leur suggère de consulter les plateformes scolaires, afin de connaître la nature et la quantité de travail que leur enfant doit réellement abattre au cours de la soirée, de la semaine ou du mois. « Les élèves plus jeunes devraient aussi faire leurs devoirs à proximité, dans la cuisine. » Lorsqu’un adolescent joue en ligne la nuit, le collège peut enseigner aux parents comment couper le WiFi à une certaine heure. Marie-Josée Michaud conseille pour sa part d’apprendre aux jeunes à morceler leurs tâches. Dix minutes de géographie « bien concentré », suivies de cinq minutes de TikTok, puis d’un autre devoir, valent mieux que de tout faire de front, car le cerveau perd plusieurs minutes de réadaptation chaque fois qu’il doit ramener sa concentration sur une tâche abandonnée.