Des centaines de personnes traversent chaque jour la jungle du Darién pour gagner l’Amérique centrale. Le passage d’une cinquantaine de kilomètres entre la Colombie et le Panamá, à travers les marécages et la dense végétation, est particulièrement risqué. Aux aléas de la nature s’ajoutent les agressions, les vols et les viols commis sur le chemin. Notamment par des groupes armés.

« Des gens se font voler ce qu’ils ont, des familles sont séparées durant le périple, parce que c’est extrêmement difficile comme traversée », explique Martina Rapido Ragozzino, chercheuse pour la division américaine de Human Rights Watch, jointe en Équateur.

Mme Rapido Ragozzino est coauteure d’un rapport de HRW sur la traversée du Darién, dont le deuxième volet sera publié cette semaine. Avec ses collègues, elle s’est rendue tant du côté colombien que du côté panaméen pour parler à des centaines de migrants, aux autorités, aux travailleurs humanitaires. Les témoignages, recueillis en 2022 et en 2023, reflètent une réalité troublante.

« Il y a des gens qui laissent leurs enfants à quelqu’un en meilleure forme pour continuer à travers la jungle, ajoute-t-elle. Heureusement, certains se retrouvent une fois rendus au Panamá. »

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Popularité

Malgré les dangers, le bouchon du Darién gagne en popularité. Alors qu’ils étaient 30 000 à franchir la jungle en 2016, selon les autorités panaméennes, leur nombre est passé à plus de 520 000 en 2023.

S’amorce ensuite un trajet de milliers de kilomètres vers le nord. La destination ultime est généralement les États-Unis.

PHOTO FEDERICO RIOS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des migrants arrivent à une boutique dans un centre d’accueil pour migrants à Lajas Blancas, au Panamá, après avoir traversé le bouchon du Darién.

Des efforts pour dissuader les arrivées irrégulières à la frontière américaine ont paradoxalement contribué à la popularité du bouchon du Darién : le Mexique, notamment, a mis en place en 2022 de nouveaux critères pour l’obtention d’un visa pour certains ressortissants de pays de la région. Sans visa, impossible de prendre l’avion.

Les migrants doivent donc opter pour un autre chemin afin d’atteindre la frontière mexicano-américaine.

Passeport et visa

Mais même lorsqu’il est théoriquement possible d’obtenir un visa, ce n’est pas chose simple dans des États en déroute.

Officiellement, le prix d’un passeport vénézuélien est d’un peu plus de 200 $ US. Or, le pays est englué dans une grave crise économique et en 2023, plus de la moitié des Vénézuéliens gagnaient moins de 100 $ US par mois, selon Ecoanalitica.

Il y a quelques années, le gouvernement, fortement sanctionné, a carrément manqué de papier et d’encre pour produire de nouveaux passeports.

La situation est également délicate en Haïti, où les foules se pressent devant les bureaux de l’immigration, dans l’espoir d’obtenir le précieux document de voyage, sur fond de violences des gangs armés.

Prix

Le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux ont contribué à faire connaître le bouchon du Darién, tant pour les Vénézuéliens, les Haïtiens et les Équatoriens, particulièrement nombreux, que pour des ressortissants chinois, iraniens ou soudanais.

Sa traversée n’est pas pour autant une solution au rabais, accessible à tous.

Des groupes criminels exigent 125 $ US par personne pour le passage, selon l’armée colombienne.

Plus de demandes d’asile

L’immigration clandestine reste un sujet chaud aux États-Unis, en cette année électorale. L’afflux, difficile à quantifier, est vu comme une menace par un grand nombre d’Américains.

Des mesures ont été mises en place pour favoriser les demandes officielles d’asile, afin de contrer la clandestinité.

PHOTO RODRIGO OROPEZA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des migrants se reposent dans un camp à Mexico.

« Récemment, on voit une majorité de gens des Caraïbes, de l’Amérique du Sud et d’autres endroits du monde se rendre aux autorités d’immigration, demandant l’asile », explique Ernesto Castañeda, directeur du Centre pour les études latines et latino-américaines de l’American University, joint à Washington.

Ces ressortissants étrangers se rendent jusqu’à un point de la frontière américaine, un peu comme le faisaient les demandeurs au chemin Roxham pour entrer au Canada, et revendiquent le statut de réfugié.

L’an dernier, plus de 800 000 personnes ont ainsi demandé refuge aux États-Unis, un bond de 63 % par rapport à l’année précédente, selon les chiffres compilés par le New York Times.

Impossible de dire combien d’entre eux pourront obtenir le statut ; le traitement des demandes connaît des retards importants.

Mur et barrières

Si Donald Trump a fait campagne en 2016 en promettant la mise en place d’un mur le long de la frontière – qui n’est pas achevé –, les barrières entre le Mexique et les États-Unis ne sont pas nouvelles et datent de plusieurs décennies, rappelle M. Castañeda.

PHOTO ADREES LATIF, ARCHIVES REUTERS

Des migrants cherchent une brèche dans la clôture entre le Mexique et les États-Unis sur les rives du Rio Grande, près du Texas, dimanche dernier.

« Les murs n’empêchent pas les migrations, ils les rendent juste plus dangereuses parce que les gens doivent traverser par le désert plutôt que de passer par une ville frontalière », note M. Castañeda.

Au moins 636 personnes sont mortes ou disparues le long de cette frontière en 2023, selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Avec Associated Press, Reuters, The New York Times