Le nombre de spectacles d’humour présentés au Québec a connu une hausse de 144 % en environ 20 ans, passant de 1898 à 4665 entre 2004 et 2022. Et non, l’humour n’est pas en crise pour autant.

« L’humour est hyper populaire, constate au contraire Patrick Rozon, chef de la direction de Juste pour rire. On le voit juste avec les ventes de billets dans les salles de tout le Québec. Les artistes, les humoristes, n’ont pas de problème à en vendre. »

On ne se tape pas sur les cuisses seulement dans les salles de spectacle officielles, mais sur toutes sortes de scènes. Les comedy clubs comme le Bordel n’ont pas de problème à attirer des gens et les autres soirées consacrées à l’humour non plus, dit-il.

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Patrick Rozon, chef de la direction de Juste pour rire

On est rendu à pas loin de 140 soirées d’humour à Montréal et partout au Québec. C’est complètement fou, en fait.

Patrick Rozon, chef de la direction de Juste pour rire

Le dynamisme du milieu est attribuable à plusieurs facteurs. Il y a d’une part la formation à l’École nationale de l’humour (ENH), l’habileté avec laquelle les créateurs ont profité des possibilités des technologies numériques (réseaux sociaux, etc.) et bien sûr l’avènement de ZooFest, festival ouvert aux nouvelles formules et au risque, qui a agi comme un tremplin.

« ZooFest permet à de jeunes artistes de se roder, de s’améliorer, de se faire voir aussi, signale Patrick Rozon. On en parle peu, mais ZooFest est aussi un marché : les gérants sont là, les producteurs sont là. Ils viennent assister à ces spectacles et découvrir ces jeunes-là. »

Rien ne garantit aux finissants de l’ENH qu’ils feront carrière ni aux artistes sélectionnés au ZooFest qu’ils deviendront millionnaires, mais ils mettent néanmoins le pied dans un milieu effervescent qui n’a pas de mal à rallier des publics.

S’ouvrir à la diversité

L’une des raisons qui expliquent la vitalité du milieu de l’humour au Québec, c’est peut-être aussi qu’il a su s’adapter et se diversifier. Les réalités montréalaises et québécoises sont désormais multiples : une part grandissante de la population est composée d’immigrants de première ou deuxième génération. Des gens que Juste pour rire ne rejoignaient pas. Le constat a été posé il y a cinq ans. Depuis, le festival a agi.

« On s’est dit : si on veut survivre, il va falloir s’adapter », dit Patrick Rozon. Son organisation a commencé à s’associer avec d’autres issues de diverses communautés pour offrir une scène à des humoristes aux racines culturelles variées. Certains se retrouvent maintenant dans la programmation de Juste pour rire et y attirent de nouveaux publics, qui n’avaient jamais mis les pieds dans ce festival.

Rire ensemble peut être un ciment aussi puissant que le fait d’être collectivement ému par une chanson. En faisant un pas vers les humoristes issus de l’immigration, Juste pour rire cherchait à leur dire que l’évènement leur appartient à eux aussi, résume son patron. Chacun aime se reconnaître sur scène, rire de lui-même et des autres. Ne présenter qu’un visage de la société québécoise, c’était se couper de bien des possibilités de développement et n’offrir qu’une vision du monde limitée.

J’ajouterais qu’on a laissé ces artistes faire leur style d’humour.

Patrick Rozon, chef de la direction de Juste pour rire

Plutôt que de chercher à les formater, il lui semblait capital de les laisser aborder les thèmes qu’ils souhaitaient, de la manière dont ils le souhaitaient, en ayant confiance dans le fait que tout le monde, peu importe ses origines, pourrait se sentir concerné.

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Mibenson Sylvain a été sacré humoriste de l’année au dernier Gala Dynastie, qui célèbre les personnalités culturelles issues des communautés noires du Québec.

Ces artistes – il cite pêle-mêle Erika Suarez, Mibenson Sylvain, Steve Biko, Dolino et Oussama Fares – avaient leur place dans les comedy clubs, dit le directeur de Juste pour rire. « Mais on ne peut pas prétendre être le plus grand festival d’humour au monde et ne pas toucher toutes les communautés, tranche Patrick Rozon. J’haïs le mot réinventer, mais je pense que toute entreprise, tout évènement doit à un moment donné se réinventer. On n’a pas terminé, mais on est dans cette évolution-là. »

Juste pour rire vient de franchir un pas de plus en dévoilant, début février, la première cohorte d’aspirants humoristes issus des communautés noires qui bénéficieront d’un programme de perfectionnement intensif de neuf semaines intitulé Rire en scène. Ce projet est issu d’une collaboration avec l’École nationale de l’humour et la Fondation Dynastie.