Le mandat de quatre ans de Donald Trump à la Maison-Blanche n’a pas été de tout repos pour le gouvernement Trudeau.

Sa victoire à l’élection présidentielle en novembre 2017 a pris de court toute la machine gouvernementale à Ottawa. Il a fallu apporter des changements rapidement pour ajuster le tir. Justin Trudeau a procédé au début de 2017 à un remaniement ministériel important, écartant notamment Stéphane Dion du cabinet et confiant à Chrystia Freeland le ministère des Affaires étrangères et le dossier des relations canado-américaines, dont la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Au sein de son propre bureau, Justin Trudeau a créé un groupe d’intervention rapide mené à l’époque par Brian Clow, brillant stratège, qui est aujourd’hui chef de cabinet adjoint.

Ce groupe avait comme mandat de scruter à la loupe les déclarations et les décisions du président Trump et de son administration, et d’en mesurer leur impact sur le Canada. Après des mois difficiles de négociations marqués par la menace de déchirer l’accord commercial et l’imposition de tarifs sur les exportations canadiennes d’aluminium, une nouvelle entente a finalement été conclue en novembre 2018.

PHOTO DAVID KAWAI, ARCHIVES BLOOMBERG

Le secrétaire à l’Économie du Mexique, Ildefonso Guajardo Villarreal, l’ancienne ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland et Bob Lighthizer, représentant américain au Commerce, quittent la scène après une conférence de presse sur le troisième cycle de négociations de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) à Ottawa, en septembre 2017.

Le groupe d’intervention a été démantelé à la suite de la victoire de Joe Biden. Mais ses principaux membres sont toujours au bureau du premier ministre. Pour l’heure, on ne prévoit pas de remettre ce groupe sur pied.

Notre stratégie, pour le moment, c’est de ne pas faire de vague. On veut passer sous le radar. On ne veut surtout pas, par exemple, que l’accord de libre-échange devienne un enjeu de la campagne présidentielle. Cela ne serait assurément pas dans notre intérêt.

Une source gouvernementale qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement sur cette question

La menace du protectionnisme

Dans son programme électoral, Donald Trump propose notamment d’imposer des tarifs de 10 % sur les importations afin de protéger le secteur manufacturier aux États-Unis. Un élan protectionniste qui pourrait donner du fil à retordre au Canada. Dans le passé, il a aussi attaqué le programme de gestion de l’offre pour les produits laitiers et la volaille en vigueur au Canada.

Selon l’ancienne diplomate Louise Blais, qui a notamment été ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada à l’Organisation des Nations unies à New York de 2017 à 2021, il faut se préparer à la possibilité d’une victoire de Donald Trump « sans paniquer » et sans faire de déclarations maladroites à son sujet qui pourraient revenir nous hanter.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA

La diplomate canadienne Louise Blais, à Washington, en 2022

Si Trump est réélu, je ne pense pas que ça va être facile, mais si on joue bien nos cartes dans la prochaine année, le Canada peut être prêt à surfer sur cette vague.

Louise Blais, ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada à l’ONU (2017-2021)

Mme Blais, qui a aussi été consule générale du Canada à Atlanta, avait la responsabilité de bâtir des liens diplomatiques en Caroline du Nord, en Caroline du Sud, au Tennessee, en Géorgie, en Alabama et au Mississippi.

« Je n’ai pas l’impression que le renouvellement de l’accord de libre-échange est en danger. C’est son accord, après tout. Mais cela ne veut pas dire qu’on n’aura pas des défis pour contrer le protectionnisme américain, comme c’est le cas avec le président actuel. »

La diplomate, qui avait réussi à tisser des liens avec plusieurs membres de l’entourage de Donald Trump avant sa victoire électorale, estime qu’on aurait aussi un intérêt à entretenir un dialogue avec les sénateurs et les représentants qui ont déjà donné leur appui à M. Trump.

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« Si l’accord [de libre-échange nord-américain] n’a pas été déchiré, finalement, c’est grâce à Jean Charest », selon Louise Blais, ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada à l’ONU (entre 2017 et 2021).

« Il faut vraiment parler à ces gens-là » parce qu’ils pourraient jouer un rôle dans l’administration Trump s’il obtient un autre mandat. Mme Blais donne l’exemple des relations étroites qu’avait établies l’ancien premier ministre Jean Charest avec Sonny Perdue, l’ancien gouverneur de la Géorgie qui est devenu le secrétaire à l’Agriculture dans l’administration Trump.

Des liens indispensables

Elle rappelle que c’est Sonny Perdue, qui connaît bien le Canada, qui est intervenu auprès de Donald Trump à la dernière minute en se rendant à la Maison-Blanche pour qu’il renonce à l’idée de déchirer l’accord commercial entre les États-Unis, le Canada et le Mexique au début de son mandat.

« Si l’accord n’a pas été déchiré, finalement, c’est grâce à Jean Charest », a-t-elle avancé. Selon le Washington Post, M. Perdue s’est rendu au bureau du président pour lui montrer une carte des États-Unis montrant les régions qui seraient les plus durement touchées par une telle décision. Donald Trump a alors saisi que plusieurs des États et des régions qui seraient durement affectés par une telle décision avaient voté pour lui à l’élection de 2016.

Louise Blais estime que le Canada aurait tout intérêt à ce que les élus, qu’ils soient à Ottawa ou dans les provinces, cultivent des relations étroites avec leurs vis-à-vis américains en tout temps, républicains comme démocrates, et pas seulement quand une crise point à l’horizon.

Ayant eu à composer avec certains membres de l’administration Trump, le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, affirme que depuis trois ans le gouvernement Trudeau s’est employé à rendre le Canada indispensable au bon fonctionnement de l’économie américaine. Plus précisément, il a multiplié les investissements pour bâtir une chaîne d’approvisionnement sur le continent nord-américain dans des secteurs névralgiques comme les semi-conducteurs, la fabrication de batteries et de véhicules électriques, le secteur de la biofabrication et les minéraux critiques, entre autres.

Selon le ministre, cette stratégie vise non seulement à réduire la dépendance du Canada envers des régimes autoritaires dans les secteurs importants de l’économie, mais aussi à se doter d’une chaîne d’approvisionnement entre le Canada et les États-Unis fortement intégrée pour contrer tout élan protectionniste venant de Washington.

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François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

C’est porteur d’avenir. Quand on réussit à s’intégrer de façon stratégique dans ces chaînes d’approvisionnement, on s’assure que la relation économique et commerciale entre les deux pays soit protégée, peu importe qui occupe la Maison-Blanche.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

« Je crois que l’on s’est bien positionnés en faisant cela. Dans la tête des dirigeants, il y a trois choses qui les préoccupent : la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et la résilience des chaînes d’approvisionnement. Au cours des dernières années, on a fait des progrès dans ces dossiers. »

Cette stratégie a été mise en œuvre en douceur. Le temps dira si elle rapportera les dividendes escomptés.