À la mi-janvier, la Société Alzheimer du Canada a lancé une petite bombe : d’ici 2050, de pair avec le vieillissement de la population, les cas de troubles neurocognitifs pourraient augmenter de 145 % au pays.

« On diagnostique un cas de démence toutes les trois secondes dans le monde, me confirme le neuropsychologue Louis Bherer, qui dirige le Centre EPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal. Imaginez un pays grand comme l’Allemagne rempli de gens atteints de démence, décrit-il. C’est ce qui nous guette d’ici 20 ans. Je reprends les mots du DRéjean Hébert : ce n’est pas un tsunami qui nous menace, c’est un iceberg. Parce qu’on voit le problème se pointer depuis longtemps, mais la gravité, ce n’est pas ce qu’on voit, c’est ce qui se cache sous l’eau. »

La bonne nouvelle, c’est qu’il est encore temps de faire dévier l’iceberg, ou du moins d’en réduire la taille, selon le DBherer.

On pourrait diminuer le nombre de cas de démence dans le monde d’environ un tiers juste en modifiant notre mode de vie. Les études longitudinales sur une période de 10 ans le démontrent : les gens qui font un exercice modéré à intense trois fois et plus par semaine ont de 30 à 40 % moins de chances, à long terme, de développer la démence.

Le DLouis Bherer, directeur du centre EPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal

Maximiser ses ressources

Le DBherer m’avait donné rendez-vous dans son « laboratoire », un gym percé de grandes fenêtres situé au troisième étage du centre EPIC, rue Saint-Zotique. Ce centre, unique au Québec, se spécialise dans la prise en charge des gens qui ont connu des évènements cardiaques, mais il est aussi ouvert au grand public qui souhaite garder la forme. « On n’est pas ici pour ajouter des pilules, mais pour changer le mode de vie des personnes », lance le neuropsychologue, spécialisé dans le vieillissement du cerveau et professeur titulaire au département de médecine de l’Université de Montréal.

Les « cobayes » du Laboratoire d’étude de la santé cognitive des aînés (LESCA) sont recrutés à l’Institut de cardiologie, voisin du Centre. En gros, l’équipe du DBherer les soumet à un entraînement physique et cognitif précis qui fait l’objet d’un monitorage. Les résultats sont probants.

« Quand on vieillit, on observe un ralentissement de notre cerveau, résume le DBherer. La mémoire peut être moins efficace. Or, on a un rôle à jouer pour combattre ce déclin. On n’est pas déterminé par nos gènes, on peut maximiser notre vitalité cognitive. »

L’exercice permettrait même de renverser les signes du déclin chez certains patients. C’est ce qu’illustre l’article scientifique publié par le DBherer et son équipe l’été dernier dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

L’étude en question, à classer dans la catégorie « nouvelles positives », démontrait qu’un programme combiné d’exercice physique et cognitif suivi sur une période de six mois réduisait les symptômes chez des patients atteints de troubles légers de la cognition, c’est-à-dire des individus à très haut risque de développer une démence par rapport aux gens normaux de leur âge.

« On a frappé fort dans une revue médicale prestigieuse, se réjouit le DBherer. C’est très difficile de faire ça quand tu ne vends pas des molécules ! »

Le neuropsychologue regrette qu’on consacre si peu de moyens à la recherche en prévention. « Les standards scientifiques pour développer, tester et mettre en marché une molécule comme un médicament sont toujours extrêmement élevés, alors que dans la recherche sur le style de vie, il y a beaucoup moins de ressources. On n’exige pas le même niveau de preuves, la même rigueur. C’est une chose que nous, au centre EPIC, on essaie d’instaurer. »

Comme directeur scientifique, quand je mène une étude sur les bienfaits de l’exercice, je veux qu’on le fasse avec la même rigueur et les mêmes hauts standards scientifiques que si on testait une molécule.

Le Dr Louis Bherer, directeur du centre EPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal

L’exercice, un vrai moteur

De tous les facteurs qui peuvent avoir un impact positif, le DBherer estime que l’exercice physique est le plus fort prédicteur d’une vieillesse en santé. « Il y a toutes sortes d’effets indirects liés à l’exercice, avance-t-il. Un meilleur sommeil, l’empowerment, c’est-à-dire le sentiment que ressent le patient de se prendre en main et d’être omnipuissant. Ce n’est pas long, chez une personne qui s’entraîne, d’observer des changements positifs dans les autres secteurs de sa vie.

Aux effets psychologiques positifs de l’entraînement physique, il faut ajouter les nombreux effets physiologiques.

Quand on fait de l’exercice physique, nos organes produisent des protéines et des molécules qui ont des impacts sur la plasticité cérébrale et la plasticité vasculaire, soit la capacité des vaisseaux sanguins à répondre à la demande. L’exercice physique peut même réactiver certains circuits de neurones, ce qui aide le cerveau à s’adapter à l’effort. L’exercice est un moteur énorme.

Le Dr Louis Bherer

Comment expliquer que malgré toutes ces recherches et ces connaissances, nos médecins nous parlent si peu de prévention ? « Se préparer à vieillir ne fait pas partie de la réflexion nulle part », reconnaît le DBherer.

« Je ne suis pas médecin, poursuit-il, ce n’est pas moi qui vois les patients dans mon bureau. Mais quand un médecin passe une demi-heure à parler de prévention avec un patient, il ne peut pas facturer un acte précis. Or, les médecins sont des gens d’affaires, je les comprends. La prévention n’est pas suffisamment appuyée et encouragée. Il faudrait donner aux médecins les moyens d’en faire plus. »

À lire ce qui se passe ces temps-ci dans les CHSLD et les urgences des hôpitaux, à voir la pénurie de main-d’œuvre et son impact sur les soins aux personnes âgées, je me dis qu’on a intérêt à vieillir en santé. Le quart de la population québécoise aura 65 ans en 2030. C’est bien beau espérer vivre jusqu’à 120 ans, mais qui veut passer les dernières décennies de sa vie malade ? Notre système de santé doit consacrer beaucoup plus d’effort à la prévention. Ça presse.