Plongeons-nous dans le vif du sujet. Les portes du Parlement sont-elles réellement ouvertes aux rebelles, celles et ceux qui veulent changer l’ordre établi ?

Claudel Pétrin-Desrosiers : Est-ce qu’ils ont leur place au Parlement ? Certainement. Est-ce qu’ils ont en ce moment toute la place pour s’exprimer ? Je pense que le code parlementaire restreint certaines manifestations d’expressions pour respecter l’ordre établi. Sans les rebelles, on perd beaucoup dans les échanges et les brassages d’idées.

Hélène David : Est-ce qu’on leur fait une assez grande place ? Non. Surtout dans les partis bien établis. [Dans certaines formations politiques], c’est un peu comme entrer dans une chambre de commerce. J’exagère, là...

Véronique Laflamme : À peine !

Hélène David : Avant d’arriver en politique, j’étais prof d’université. C’est un rôle très individualiste. Quand tu arrives dans un parti et dans un caucus, tu es dans une machine. Je me suis rendu compte que celle qui avait toujours vécu sa vie avec une pensée assez individuelle devait alors penser [en groupe] et qu’il y a tout un système qui se met en branle autour du chef.

Cédric Dussault : Je ne suis pas allé souvent au parlement, mais chaque fois, quand j’y vais, ça me frappe à quel point on dirait qu’on est encore au XIXsiècle. Il y a un décorum qui n’a aucun sens avec ce que devrait être la représentativité du peuple. On appelle ça la maison du peuple, mais on sent que le peuple n’a pas sa place. Dans les mouvements sociaux, quand on va en commission parlementaire, on sent aussi une condescendance hallucinante.

Véronique Laflamme : C’est aussi toute la question de la démocratie dite représentative. Quand on regarde l’ensemble des parlementaires, et en particulier les gens qui forment le gouvernement, si on compare avec l’ensemble de la population, on est très loin [de la réalité]. Et c’est ce sentiment de déconnexion qui, ces temps-ci au niveau du logement, par exemple, soulève beaucoup d’indignation.

Claudel Pétrin-Desrosiers : On parle de représentativité, mais on peut aussi représenter la voix ou les intérêts d’une population sans être de la communauté donnée. Je pense qu’il y a aussi quelque chose qui devient propre à la personne qui prend un rôle, une fonction.

Marcos Ancelovici : On n’a pas besoin d’être membre d’une communauté pour parler des intérêts de cette communauté. Par contre, le problème, c’est quand ces communautés ne peuvent jamais elles-mêmes exprimer ce qu’elles considèrent comme important. Quand on regarde l’Assemblée nationale, c’est super homogène. On n’a quasiment pas de personnes ouvrières. Il n’y a quasiment pas d’immigrants. Il faut que ces personnes-là soient dans les instances, dans les lieux de pouvoir, et qu’on arrête de parler en leur nom.

Louise Harel : Moi, j’ai toujours rêvé d’un système parlementaire où les députés seraient assis par ordre alphabétique. Ça ferait toute la différence. Assis par ordre alphabétique, ça suppose des aménagements extrêmes, mais passionnants. En ce moment, l’aménagement du Salon bleu [nous place en adversaires].

Hélène David : Je serais bien d’accord avec ça !

Louise Harel : Je me souviens quand je suis arrivée en politique, nous étions 8 femmes sur [122] députés. La libérale Thérèse Lavoie-Roux m’avait dit que son caucus voulait qu’elle s’oppose à Marc-André Bédard, [alors ministre de la Justice], qui avait décidé de ne plus poursuivre le DHenry Morgentaler [NDLR : qui pratiquait comme médecin des avortements, ce qui le mettait à risque à l’époque d’aller en prison]. Or, Mme Lavoie-Roux était d’accord avec la décision de Bédard. Elle n’a pas porté la voix de l’opposition au Salon bleu. Ça, quand ça arrive, ça désarme beaucoup. J’ai moi aussi voté contre des lois de mon parti. Il faut que tu acceptes qu’il y a un prix à payer. Je me dis que c’est du courage. Et on manque de courage dans notre société.

Marcos Ancelovici : Au-delà de comment les gens s’habillent ou parlent, réussir à entrer à l’Assemblée nationale comme rebelle politiquement sur les enjeux que l’on porte, c’est très difficile. Il y a beaucoup d’obstacles préalables qui font qu’il est peu probable [que ça arrive]. Et une fois qu’on y est, les mécanismes de contrôle excluent les gens ou les poussent à adopter des positions qui convergent vers le centre.

Avez-vous l’impression que plusieurs personnes qui contestent l’ordre établi ont cette perception ? Qu’elles anticipent que leur pouvoir d’impact sur la société est plus grand dans les mouvements sociaux que sur les banquettes du Salon bleu ?

Louise Harel : Non seulement l’un n’empêche pas l’autre, mais l’un est extrêmement tributaire de l’autre. Il n’y aurait pas eu de loi sur l’équité salariale s’il n’y avait pas d’abord eu un mouvement syndical et communautaire qui a fait coalition. Il faut que ça soit ensuite relayé au Parlement. C’est extrêmement important. Quand j’étais en politique, je disais : je suis un commis voyageur. C’est-à-dire que j’essaie avec les gens du quartier de transformer des problèmes en projets [pour les amener ensuite avec moi à Québec pour trouver du financement].

Véronique Laflamme : Je pense que l’action politique se joue avec les mouvements sociaux et que s’il n’y a pas de mobilisation dans la rue, il y a bien des chances que des causes ne soient jamais portées ou entendues à l’Assemblée nationale.

Catherine Gauthier : J’aime beaucoup l’idée qu’il faut un écosystème pour transformer la société, la rendre plus juste et équitable. En matière climatique, c’est vraiment le cas. Par contre, j’ai aussi entendu la frustration de ceux qui ont un sentiment d’impuissance et je l’ai moi-même ressenti. Claudel et moi sommes intervenues lorsque le gouvernement du Québec a mis sur pied des groupes de travail pour l’élaboration de ce qui allait devenir le plan pour une économie verte. Beaucoup de nos recommandations ont été complètement rejetées. Même à travers ce processus très institutionnalisé, très privilégié, très près du pouvoir, je ne me rappelle pas avoir eu le sentiment qu’on influençait ou qu’on avait une écoute.

Claudel Pétrin-Desrosiers : L’absence de dynamisme à l’extérieur des périodes électorales, je pense que ça engendre un statisme. Des députés réussissent en travaillant très fort à faire certains avancements, mais c’est un travail très difficile. Quand on a la majorité, qu’on sait qu’elle va durer quatre ans, ça désengage et ça démobilise beaucoup.

Marcos Ancelovici : On pourrait avoir des mandats révocables. Remettre en question un mandat et faire en sorte que les députés ne puissent pas faire ce qu’ils veulent pendant quatre ans.

Louise Harel : Ouf... Comme on dit, l’enfer est rempli de bonnes intentions. Ça, c’est une bonne intention, mais ça mène à quoi ? Il y a tellement de réformes qui n’auraient pas été faites s’il y avait eu des mandats révocables. Parfois, c’est sûr que j’en ai aussi contre la ligne de parti. Quand j’ai été élue, j’appelais ça la dictature de la ligne du parti. Mais ô combien de réformes à l’égard des femmes n’auraient pas eu lieu [sans ça]. C’est complexe.

Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.