Revoir les stratégies de diffusion

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Denis Dubois, spécialiste en développement, production et diffusion télévisuelle

Depuis quelque temps, les réseaux saupoudrent les plateformes que fréquentent les jeunes (TikTok, YouTube, Facebook…) de contenus jeunesse pour piquer leur curiosité et – avec un peu de chance – les attirer vers leurs propres plateformes. « On morcelle, déclare Christiane Asselin, première directrice, contenu et programmation, webtélé, ICI Tou.TV et Jeunesse à Radio-Canada. On met des extraits sur YouTube, on alimente notre compte TikTok… »

Pour rejoindre les jeunes en 2023, on doit être partout. Ce n’est plus comme avant, quand tout le monde venait voir une émission aussitôt qu’elle arrivait en ondes.

Christiane Asselin, première directrice, contenu et programmation, webtélé, ICI Tou.TV et Jeunesse à Radio-Canada

Même son de cloche chez Télé-Québec, où Nadine Dufour, vice-présidente des contenus, essaie d’« exposer » les 12-17 ans aux émissions du diffuseur en s’assurant d’être « sur leur chemin ». « Comme diffuseur, c’est sûr qu’on souhaite qu’ils trouvent nos contenus assez intéressants pour qu’ils viennent les consommer chez nous. »

Mais pour Denis Dubois, la technique de l’appât ne suffit plus. Il faut aller plus loin. « Présentement, je pense qu’il est plus important qu’ils consomment nos produits. Il faut rendre nos produits disponibles ailleurs. On ne peut pas juste diffuser des séries à Radio-Canada et à Télé-Québec. L’appellation est vieille pour eux. Ce sont leurs mères et leurs grands-mères qui regardent ça. »

Responsabiliser les parents

PHOTO BERTRAND EXERTIER, FOURNIE PAR TVA

Les parents devraient s’efforcer de guider leurs jeunes en matière de télévision. Leur rôle de transmission est capital, insiste Nathalie Fabien, directrice principale, chaînes et programmation du Groupe TVA.

D’après une étude de l’Observateur des technologies médias Junior du Canada publiée au printemps dernier, les recommandations des parents (23 %) arrivent troisièmes au palmarès des méthodes grâce auxquelles les adolescents de 12 à 17 ans découvrent de nouveaux contenus télévisés et vidéo. Les suggestions d’amis (48 %) arrivent au sommet, suivies des mentions sur Instagram, TikTok et autres réseaux sociaux (24 %).

Voilà pourquoi les parents devraient s’efforcer de guider leurs jeunes en matière de télévision. Leur rôle de transmission est capital, insiste Nathalie Fabien, directrice principale, chaînes et programmation du Groupe TVA. Au minimum, les parents devraient donner l’exemple en regardant des émissions québécoises. De cette manière, ils exposent leurs enfants aux contenus locaux.

Vice-présidente aux communications de Québecor, Véronique Mercier parle d’un travail d’éducation. « Il faut prendre le temps. C’est hyper important pour préserver notre culture. »

Générer des occasions d’écoute en famille

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ÉMISSION CHANTEURS MASQUÉS

Les réseaux doivent privilégier les émissions qu’on peut regarder en famille, comme Chanteurs masqués, pour gonfler leurs cotes d’écoute, estime Nathalie Fabien, directrice principale, chaînes et programmation du Groupe TVA.

Le mot tendance des 10 dernières années dans l’industrie télévisuelle ? Co-viewing, un terme anglophone utilisé par l’ensemble des acteurs (diffuseurs, producteurs, distributeurs) pour parler des émissions conçues pour plaire à plusieurs générations de téléspectateurs. Le genre de programme susceptible de rallier toute la famille devant le téléviseur, comme Révolution, La voix, Chanteurs masqués, 100 génies et Zénith. Pour Nathalie Fabien, directrice principale, chaînes et programmation du Groupe TVA, les réseaux doivent privilégier les émissions qu’on peut regarder en famille pour gonfler leurs cotes d’écoute.

« De grands rendez-vous rassembleurs, comme ceux qu’on présente le dimanche, c’est vraiment la meilleure façon d’aller chercher les adolescents, soutient-elle. Nos chiffres le démontrent. Révolution est hyper populaire auprès des jeunes. »

Créer une plateforme commune

Pour éviter que notre télévision se noie dans l’abondance de contenus étrangers en provenance des géants américains comme Netflix, Disney+ et Prime Video, Denis Dubois, spécialiste en développement, production et diffusion télévisuelle, suggère la création d’une plateforme de diffusion en continu commune, qui rassemblerait toutes les séries et émissions francophones au même endroit, au lieu qu’elles soient éparpillées entre différents services comme Club illico, ICI Tou.TV et Crave. Comédienne et animatrice très populaire auprès des jeunes (Révolution, La soirée Mammouth, qu’elle a animée à plusieurs reprises avec Pier-Luc Funk), Sarah-Jeanne Labrosse avalise cette proposition. « Il faut arrêter de tirer la couverte de son bord. Il faut s’unir. Une plateforme commune, ça apaiserait le budget des familles. Ça donnerait aux jeunes l’embarras du choix. Sinon, ils finissent sur TikTok, YouTube ou Instagram, parce que c’est gratuit : c’est inclus dans leur forfait cellulaire. Et l’algorithme leur montre des trucs qu’ils veulent voir. S’ils tripent science, ça leur montre des contenus scientifiques, et s’ils tripent niaiseries, ça leur montre des niaiseries. »

Organiser un festival de télévision

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA SOIRÉE MAMMOUTH 2023

La soirée Mammouth, diffusée à Télé-Québec, connaît un grand succès auprès de jeunes téléspectateurs.

Les festivals de cinéma sont nombreux : Cannes, Toronto, Berlin, Venise… Pourquoi n’en ferait-on pas autant pour célébrer la télévision auprès des adolescents ? Voici l’une des questions posées par Denis Dubois, qui était vice-président de VRAK en 2004, pendant la création de KARV l’anti.gala, cette grande fête qui, dans ses plus belles années, pouvait rallier des milliers de jeunes en délire à Montréal. « Je n’ai pas envie de jouer les belles-mères. Je crois vraiment que mes [anciens] collègues ont tout fait ce qu’ils pouvaient faire. Mais c’est une marque forte qu’on a laissé tomber. On aurait dû développer la marque. Il y a plein d’affaires qu’on aurait pu faire, comme un festival VRAK.

« Il faut être sur place, poursuit le spécialiste en développement télévisuel. Contrairement aux Américains, on peut faire du terrain au Québec. C’est un avantage qu’on a sur eux. Il faut en profiter. »

À Télé-Québec, on donne l’exemple d’« incursions terrain » avec Mammouth, ce « mouvement » qui permet aux 13-17 ans d’élire des personnalités inspirantes. La boîte de production derrière La soirée Mammouth, Pamplemousse Média, organise des conférences dans des écoles avec différents lauréats, comme Gabriel Nadeau-Dubois, le DJulien Auger et Guillaume Vermette. « Les jeunes ont besoin de modèles, et c’est important qu’ils aient des modèles québécois, insiste Nadine Dufour, vice-présidente des contenus de Télé-Québec. Ils consomment beaucoup de youtubeurs européens. On doit les exposer aux vedettes d’ici. »