Il n'y avait plus autant de caméras à l'entrée de la salle où se tient le procès de Vincent Lacroix, jeudi.

Il n'y avait plus autant de caméras à l'entrée de la salle où se tient le procès de Vincent Lacroix, jeudi.

Mené par Jean-René Dufort, qui avait revêtu mardi le vieux costume de la mascotte des Fonds Évolution, le cirque était déjà reparti.

Il n'y avait pas autant de tension, non plus. Le fondateur de Norbourg est déjà 51 fois coupable. Et puis, après une cinquantaine de journées d'audience, à potasser des chiffres et à décrypter des tableaux qui ressemblent à des panneaux électriques, une certaine lassitude s'est installée.

Il n'empêche que s'il y avait une journée pour aller au procès de Vincent Lacroix, c'était hier. L'homme par qui le malheur est arrivé pour 9200 petits investisseurs a livré sa version des faits. À certains égards, c'est la défense qu'il n'a jamais présentée.

Vincent Lacroix n'avait aucune trace d'émotion dans la voix, même s'il a préfacé sa présentation d'une explication sur son apparent manque d'empathie envers les victimes de Norbourg.

«Ce n'est pas parce que je suis insensible que je ne témoigne pas beaucoup d'émotions», a-t-il dit. Le milieu de la finance l'aurait endurci. Dans ce monde, a-t-il dit en citant le courtier véreux joué par Michael Douglas dans le film Wall Street, «si tu veux un ami, tu t'achètes un chien». Je vous laisse choisir le chien...

Vincent Lacroix n'a pas beaucoup plus de crédibilité que Karlheinz Schreiber qui cherche par tous les moyens à retarder son extradition en Allemagne, où l'attend la prison.

Et son témoignage de jeudi était bourré de ouï-dire, ce qui a eu l'heur d'énerver l'avocat de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Mais de cette histoire complexe qui a été racontée par bribes sur plusieurs mois, il a enfin été possible de dégager un récit tout simple. «C'était comme une fusée qui décolle mais qui se trompe de quelques degrés au départ», a résumé Vincent Lacroix.

Il était une fois un ti-cul de la finance et son cousin. En 1998, ils se sont lancés en affaires. Ils décrochent leur premier gros contrat par l'entremise de l'ancien prof et mentor du ti-cul.

Manque de chance, ils ne sont pas sitôt arrivés sur le marché que l'euphorie se transforme en krach des technos. Or, ils ont acheté un paquet de Nortel.

Ce qui aggrave leur cas, c'est qu'ils se chargent eux-mêmes de leurs services de soutien administratif, le back office en bon français.

Et qu'ils se trompent dans leurs calculs, en comptabilisant deux fois certaines entrées de fonds. Non seulement c'était une «monumentale erreur de jeunesse», c'était «l'erreur fondamentale de Norbourg», a précisé Vincent Lacroix.

La perte sur l'investissement de départ de 5 millions n'est pas de 800 000$. À l'automne 2000, elle serait plutôt de 1,2 million. Gênant. Tellement qu'ils se taisent.

«On a voulu la réparer sans en parler», dit Vincent Lacroix, qui raconte avoir pris sur lui de régler le problème. Pour combler le trou qui est de plus en plus grand dans la comptabilité parallèle, Vincent Lacroix met au point ce qu'il surnomme la «théorie des vases communicants».

Cela dit ce que cela veut dire.

Il n'y a pas que les erreurs du back office qui pèsent. Norbourg prête 500 000 dollars à la firme de courtage Maxima Capital, pour laquelle Vincent Lacroix a déjà travaillé.

Mais la firme qu'il aimerait acquérir est dans la ligne de mire des autorités, qui lui reprochent une série d'irrégularités. Elle finira d'ailleurs par faire faillite.

Or, si ce prêt est irrécupérable, Norbourg est largement déficitaire. En septembre 2001, l'AMF, qui est personnifiée par un personnage clef, l'inspecteur Éric Asselin - futur vice-président finances de Norbourg! - lui intime l'ordre de renflouer les coffres.

À défaut de quoi la firme sera fermée dans les jours suivants, a raconté jeudi le fondateur de Norbourg.

Vincent Lacroix sait que le gouvernement du Québec lui a octroyé une subvention de 900 000$.

À la fin des années 90, en effet, le ministre des Finances Bernard Landry multiplie les crédits d'impôt pour que Montréal retrouve son antique statut de capitale financière. C'est la solution à tous les problèmes de Norbourg!

Malheureusement, le chèque du gouvernement n'est pas encore arrivé. Alors Vincent Lacroix appelle un haut gradé du ministère des Finances.

«Cela ne te tenterait pas de nous écrire une belle petite lettre pour prouver que nous ne sommes pas dans le trou», lui demande-t-il en substance. Le fonctionnaire s'est exécuté.

Et c'est ainsi que Québec a sauvé Norbourg d'une mort certaine en septembre 2001! J'insiste sur le 2001.

La suite, on la connaît trop bien. «Nous avons pris une série de mauvaises décisions, et en essayant de régler le problème, on l'a amplifié», a résumé Vincent Lacroix.

Vincent Lacroix ne cache aucunement qu'il est responsable des retraits irréguliers. Mais il rejette le blâme pour l'information trompeuse qui a été communiquée sur Éric Asselin, cet ancien inspecteur et enquêteur qui agissait «comme un magicien avec les inspecteurs de la CVMQ», qui porte aujourd'hui le nom d'AMF.

Sa magie était tellement créatrice, a raconté Lacroix jeudi, que celui-ci apprenait des nouvelles comme un projet d'acquisition dans les documents transmis aux autorités!

Vincent Lacroix, on le sait, souffre d'un grand problème de crédibilité. Il cherche à descendre le délateur Éric Asselin, qui jouit d'une entente d'immunité.

Mais ce qui est troublant dans cette affaire, c'est la proximité entre Norbourg et la CVMQ à l'époque. Proximité qui se retrouve dans un autre affaire à retentissement, Jitec.

Dans ce cas, un employé de la CVMQ a reçu 1000$ d'un délateur aux motivations louches. Employé qui fut dénoncé par une ex-employée de la CVMQ, qui s'inquiétait après avoir entendu parler d'un autre employé corrompu.

Le ver était-il dans la pomme? Était-ce des cas isolés? Et est-ce que les problèmes dont était affligée la CVMQ à l'époque sont aujourd'hui corrigés?

Voilà pourquoi il faudrait tenir une enquête publique sur le scandale Norbourg. Parce que si des scandales financiers retentissants ont aussi eu lieu dans d'autres provinces, comme le fait valoir la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, aucun n'a touché d'aussi près l'organisme qui était censé veiller au grain.