L'inflation, déclarait un jour le courtier new-yorkais JPMorgan, «c'est comme sauter du haut de l'Empire State Building: la sensation est géniale... jusqu'à l'atterrissage».

L'inflation, déclarait un jour le courtier new-yorkais JPMorgan, «c'est comme sauter du haut de l'Empire State Building: la sensation est géniale... jusqu'à l'atterrissage».

Cette analyse, teintée d'un cynisme typique de Wall Street, donne des frissons dans le dos lorsqu'on regarde les prix des aliments ces jours-ci.

Diverses sources le confirment: les prix des denrées alimentaires s'envolent d'un bout à l'autre de la planète.

La diminution des terres arables, les sécheresses graves (en Australie notamment), la popularité des biocarburants et, surtout, la hausse de la demande en Chine et en Inde sont les grands responsables de cette poussée.

Soulevé par le boom des biocarburants comme l'éthanol, le prix du maïs a bondi de plus de 80% depuis un an sur certains marchés. L'huile de soja a grimpé d'environ 30%; le cacao de 20%; le café de 24%... Et ce ne sont pas les producteurs de ces denrées qui vont s'en plaindre.

Le secteur laitier est aussi emporté par la vague: les cours du lait en poudre - un baromètre dans ce milieu - ont grimpé d'environ 60% depuis six mois à la Bourse des denrées de Chicago.

Bref, on a l'impression que le contenu de notre frigo et de notre garde-manger prend plus de valeur que nos maisons ou nos placements boursiers. Mais, plus sérieusement, ce phénomène devient fort préoccupant.

Inflation

La firme de recherche américaine Sanford C. Bernstein prévient que l'indice des prix des aliments aux États-Unis - qui mesure l'évolution du coût d'une douzaine de denrées comme le blé et le lait - devrait croître de 21% en 2007, la plus forte croissance depuis la création de cet indice, il y a 10 ans.

Au Royaume-Uni, l'indice des prix des produits alimentaires a grimpé de 6% (chiffre annualisé) en avril seulement, un sommet en six ans, ce qui est bien au-dessus de l'inflation globale (+2,8%).

En Chine, le coût des aliments augmente deux fois plus vite que celui des autres biens.

Même phénomène en Inde, où l'inflation alimentaire (+10% annuellement) est à un sommet de 15 ans, selon le gouvernement.

Dans le cas du maïs, des chercheurs américains viennent d'ailleurs de sonner l'alarme.

«Les volumes énormes exigés par l'industrie de l'éthanol sont en train de provoquer des ondes de choc dans tout le système alimentaire», affirment Ford Runge et Benjamin Senauer, professeurs d'économie à l'université du Minnesota.

En faisant grimper les cours du maïs, l'usage accru de l'éthanol comme carburant «vert» menace l'alimentation des 2,7 milliards de personnes dans le monde qui vivent avec moins de 2$US par jour, ajoutent-ils.

«Remplir le réservoir d'un 4x4 avec 94,5 litres d'éthanol pur nécessite environ 204kg de maïs, soit suffisamment de calories pour nourrir une personne pendant un an», soulignent MM. Runge et Senauer dans leur rapport.

Et si les cours du pétrole restent élevés, «l'accroissement rapide de la production mondiale de biocarburants fera monter les prix du maïs de jusqu'à 20% d'ici à 2010 et de 41% d'ici à 2020», pronostiquent-ils.

L'indigestion des banques centrales

Évidemment, le renchérissement des denrées alimentaires risque de mal se terminer.

La Banque du Canada, la BCE (Banque centrale européenne) et la Réserve fédérale ont tour à tour exprimé leurs préoccupations à l'égard de l'inflation ces derniers temps.

Sans le dire ouvertement, les banques centrales s'inquiètent de la flambée des prix des aliments - un mal de moins en moins éphémère qui, comme le prix élevé du pétrole, s'infiltre graduellement dans toutes les sphères de l'économie.

Une vraie bombe à retardement. Au Canada, les prix des aliments ont grimpé de 3,8% en avril (taux annuel), ce qui est nettement supérieur à l'inflation globale.

Aussi, il ne faudrait pas se surprendre si les banques centrales, chez nous comme en Europe, en Inde ou en Chine, en viennent à considérer la flambée des prix des aliments comme une source systémique d'inflation qu'il faudra contenir, coûte que coûte. Cela laisse présager d'autres hausses des taux d'intérêt.

L'industrie de la transformation alimentaire est aussi préoccupée. Les Nestlé, Danone et Unilever de ce monde ont absorbé une bonne partie de la hausse des prix des denrées de base jusqu'ici. C'est pour cela que peu de gens vont déchirer leur chemise devant le comptoir des céréales chez IGA ou Provigo ces temps-ci.

Profits grugés

Mais ce problème gruge les profits des géants de la transformation, qui, tôt ou tard, vont refiler la facture aux consommateurs, soutient la Deutsche Bank dans une étude.

On maugrée souvent contre l'envolée des prix du pétrole. La grogne est certes évidente dans les stations-services.

Mais, dans les supermarchés, les consommateurs auront de plus en plus de mal à retenir leur colère, si ça continue.