Depuis quatre ans, l'Espagne a été une véritable machine à fabriquer des emplois: trois millions en tout! C'est plus que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni réunis.

Depuis quatre ans, l'Espagne a été une véritable machine à fabriquer des emplois: trois millions en tout! C'est plus que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni réunis.

Or, ces derniers temps, la construction est en panne, le chômage grimpe et les ménages dépriment Triste portrait à six jours seulement des élections nationales.

Les Américains vous le diront: si un puissant fonds étatique du Moyen-Orient sonne à la porte de votre entreprise, ces jours-ci, en vous offrant des milliards de dollars, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche.

La semaine dernière, le fonds Investment Corp. of Dubai (ICD) - riche d'un actif de 82 milliards US - a offert d'acheter le géant immobilier espagnol Inmobiliaria Colonial SA pour 3 milliards d'euros (4,5 milliards CAN).

En apparence, une bonne nouvelle. Or, cette offre illustre plutôt l'état de crise qui règne chez Colonial - dont la valeur boursière a fondu de moitié en six mois - mais aussi les ennuis de toute l'économie espagnole.

Les fonds souverains du golfe Persique, faut-il le rappeler, ont investi depuis novembre plus de 17 milliards US dans des banques en Europe et, surtout, aux États-Unis où la crise du crédit secoue le secteur financier.

Or, pour des motifs similaires, l'offre de Dubai pour Colonial s'inscrit également dans un contexte de crise.

Après la débâcle américaine des subprimes, on s'interroge de plus en plus sur les risques d'une crise des «hipotecas basuras» (crédits-poubelle) à l'espagnole. Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) estimait qu'en Espagne, le prix du logement est l'un des plus surévalués au monde, davantage encore qu'aux États-Unis.

Décennie flamboyante

L'immobilier en Espagne vient de connaître une décennie flamboyante: le boom s'est traduit par une hausse des prix des maisons d'environ 150%, et le secteur de la construction pèse plus d'un cinquième du PIB. Mais la fiesta tire à sa fin sur la péninsule ibérique.

Au second semestre 2007, selon la banque Caixa, le prix des logements n'a augmenté que de 1,1%. C'est bien peu dans un pays où la hausse annuelle est à deux chiffres depuis le début des années 90.

En 2006, l'Espagne a même battu un record européen en construisant 830 000 résidences, soit plus que l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France réunis. Aujourd'hui, une association de constructeurs admet qu'il s'est construit depuis 10 ans «deux fois plus de logements que nécessaire».

Comme aux États-Unis, la panne immobilière touche de plein fouet des millions de ménages espagnols, en grande majorité propriétaires. D'après la Banque d'Espagne, deux familles sur trois ont du mal à joindre les deux bouts.

Environ 20% des ménages ne peuvent rien épargner après avoir honoré l'«hipoteca» mensuelle, estime pour sa part l'AFP.

L'économie en panne

Faut-il se surprendre alors si l'activité économique en Espagne montre des signes de «décélération» plus marqués qu'à la fin 2007, déclarait mercredi la Banque d'Espagne.

Au dernier trimestre 2007, le taux de chômage est remonté pour la première fois en cinq ans - de 8% à 8,6%. Les entreprises de construction licencient à tout-va.

Les mises en chantier de logements devraient tomber de 830 000 en 2006 à 450 000 en 2008. Les promoteurs immobiliers auraient un demi-million d'appartements à vendre sur les bras.

Évidemment, l'inquiétude s'accroît. Près de la moitié des Espagnols jugent la situation économique «mauvaise ou très mauvaise» et ont commencé à réduire leurs dépenses, toujours selon la banque centrale espagnole.

En fait, la confiance des consommateurs est à un creux depuis 14 ans.

Élections

En somme, l'Espagne semble arrivée au bout de son cycle miraculeux, qui a été alimenté notamment par les milliers d'emplois (souvent mal rémunérés et comblés par des travailleurs venus de l'étranger) créés principalement dans le secteur de la construction.

Donc les nouvelles sont bien mauvaises pour le gouvernement socialiste, à 6 jours des élections législatives du 9 mars.

Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Rodríguez Zapatero, actuellement au pouvoir, et le Parti populaire (PP), mené par le conservateur Mariano Rajoy, sont au coude-à-coude dans les sondages. Et l'économie est l'un des principaux thèmes de la campagne.

Le gouvernement doit relancer la machine à créer des emplois, et vite. Mais le défi est énorme: l'Espagne doit passer d'un modèle fondé sur la création d'emplois nombreux, mais peu qualifiés, à une économie axée sur la valeur ajoutée et le savoir.

Une grosse commande. Car on ne pourra pas se fier sur le moteur immobilier pour un bon bout de temps.