« C’est vrai que l’hiver vous habitez la ville souterraine ? »

« Vous êtes nombreux, dans les souterrains ? »

Je reviens d’un séjour familial à Paris, et dire que le Québec est à la mode n’est pas exagéré. En fait, l’accent québécois ouvre des portes, suscite l’intérêt et est un excellent point de départ de conversation, qui tôt ou tard aboutira sur la fameuse ville souterraine qui les méduse. Il faut, passé l’ahurissement, puis l’éclat de rire, leur expliquer que la ville souterraine est un mythe destiné aux visiteurs, que nous n’y aménageons pas nos pénates collectifs dès le 21 décembre, que nous ne devenons pas des zombies errant dans des couloirs surchauffés quand le blizzard fait rage… Dans leurs yeux, il y a à ce moment une incrédulité, suivie d’un peu de déception. Après, seulement après, la vraie conversation peut démarrer.

Car le Québec a la cote en France. Les Montréalais le savent. Le nombre d’expats ici, et plus précisément sur le Plateau-Mont-Royal, surnommé le 21e arrondissement de Paris, a explosé.

Logements abordables pour leurs euros, jobs intéressantes dans le multimédia, et dans les médias tout court — bonjour Radio-Canada ! —, les attraits de Montréal sont légion. Et de plus en plus, les Français investissent Québec, ou différentes villes ou régions séduisantes pour ces entichés de grands espaces. En fait, à Paris, après deux minutes, les gens vous disent qu’ils ont un neveu, une sœur, une connaissance expatriés au Québec, et que ça leur tente donc, comment fait-on ? L’hiver est-il si rude (oui), vous enfermez-vous dans la ville souterraine (nous y voilà), et : en prenez-vous encore ? (il n’y a pas d’embargo sur les Français).

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Des œuvres du festival Art souterrain au Palais des congrès, en 2020

Le Québécois en visite habitué de la France reste un peu saisi devant ce revirement qui date d’à peine cinq ans. Auparavant, notre accent faisait au mieux sourire, et généralement, on sentait la condescendance. Que s’est-il passé ? En fait, ce n’est pas tant que nous ayons changé, mais EUX qui en ont marre de la France.

Leur société est étouffante, sclérosée. C’est une société de privilèges même pas dissimulés, de retours d’ascenseur, alors que l’ascenseur social, lui, est en panne, d’entre-soi et de portes fermées. Le coût de la vie y est très élevé, votre avenir dépend de l’école où vous êtes allé, de qui vous pistonne. La vie quotidienne y est harassante, constellée de grèves spontanées et de mouvements sociaux, le fossé est spectaculaire entre le mode de vie des élites et celui des gens ordinaires, les banlieues sont un univers à part, la société est divisée sur une multitude de thèmes et tout est politisé.

En fait, en gros, les Français ont les mêmes préoccupations que nous : inflation, avenir incertain, environnement menacé, tiraillements gauche-droite, dichotomie villes-régions, mais tout y est infiniment plus tendu, plus à cran, prêt à exploser.

Le Québec leur apparaît comme un nouveau monde, où tout respire mieux. Ils y voient une libération, une marge de manœuvre qu’ils n’ont plus. Des opportunités.

Ils nous envient notre nord-américanité sur laquelle ils (et une bonne partie de nous) se méprennent. Nous ne sommes pas leurs cousins. Nous avons été abandonnés par la France et façonnés par le Régime anglais, sommes profondément enracinés dans le continent américain, que nous avons parcouru de l’Illinois à Santa Fe, ça a modelé notre façon aérée et créative de penser.

Nous faisons face aux mêmes problèmes mondialisés que les Français, mais nous avons des solutions plus optimistes, plus débonnaires, plus lousses. C’est ce que confusément ils nous envient, cette nord-américanité francophone, cette créativité fulgurante, cette décontraction idéologique, cet espoir que nous portons. Ces derniers temps, quand je rentre de France, j’encapsule cette admiration sincère et nouvelle des cousins, et me dis que nous devrions nous en nourrir. Ça nous remonterait le moral collectif, parfois vacillant.

Nous avons tendance, en ce moment, à ruminer nos querelles, à creuser des fossés entre nous, à nous auto-diminuer, à nous dresser en camps tranchés les uns contre les autres. Or, à Paris, nous les mystifions ! On nous admire, on nous envie notre aptitude à aller de l’avant. Disons que ça relativise nos angoisses nationales et que ça insuffle surtout une bonne dose d’optimisme. Et si nous croyions en nous ?

Après tout, un peuple capable de faire croire à des Français que nous disposons d’une formidable ville souterraine où nous tenons des messes basses est capable de tout !