Il faut se méfier des élections partielles. Elles ne permettent pas toutes de prédire l’avenir, même à court terme. Elles ne se tiennent pas toutes dans des circonscriptions qu’on peut qualifier de baromètre. Elles sont souvent boudées par la majorité des électeurs.

Mais il reste que les résultats de l’élection de lundi dans Mississauga-Lakeshore devraient indiquer au chef conservateur Pierre Poilievre qu’il doit changer de stratégie et, surtout, changer de ton. Mais d’abord, plantons le décor.

Il s’agit d’une circonscription qui a voté libéral depuis 30 ans à une exception près, soit les élections de 2011, quand elle est passée aux conservateurs de Stephen Harper.

Mais il faut rappeler que 2011 a marqué la grande débâcle des libéraux, qui ont perdu 43 sièges et ont été remplacés comme opposition officielle par la « vague orange » de Jack Layton.

Notons que le candidat libéral Charles Sousa — un ancien ministre provincial des Finances — a augmenté la part du vote des libéraux et leur a donné leur meilleur résultat en 20 ans.

Pendant ce temps, la part des conservateurs chutait légèrement, de 39 à 37 % des voix. Le tout avec un taux de participation de 26 %, un peu bas, mais quand même dans la norme pour une élection partielle.

Reste que tout cela est un assez mauvais résultat pour les conservateurs et leur nouveau chef, Pierre Poilievre.

Une élection partielle, c’est le moment de montrer son mécontentement envers le parti au pouvoir. On ne compte plus les partielles qui ont servi précisément à cela, quitte à revenir à un autre parti lors des élections générales.

Or, non seulement les électeurs n’ont pas fait cela, mais on peut interpréter le résultat comme un appui — peut-être pas éclatant, mais un appui tout de même — au gouvernement en place.

Mississauga-Lakeshore est une circonscription assez typique de la grande banlieue de Toronto ou d’une autre grande ville, comme celles qu’un parti doit absolument gagner s’il veut prendre le pouvoir.

Ce n’était pas la circonscription rêvée pour un premier test, mais ce n’était pas « mission impossible » non plus. Pour les conservateurs, c’était donc surtout le premier test de leur nouveau chef devant des électeurs canadiens. Un test que M. Poilievre aura échoué.

De toute évidence, les électeurs de la grande banlieue de Toronto — la région qui fait ou défait les gouvernements au Canada — ne se reconnaissent pas dans le message du chef conservateur ni dans les moyens qu’il prend pour essayer de le faire passer.

En fait, depuis le début de sa campagne au leadership conservateur, M. Poilievre s’en est pris à ceux qu’il appelle les « gatekeepers » ou, en français, les gardiens. Ceux qui donnent accès à l’information, ceux qui décident des gagnants et des perdants, bref tous ceux contre lesquels les Canadiens devraient être en colère, selon M. Poilievre.

Parmi ceux-ci, il y a la presse parlementaire, que le chef conservateur a soigneusement essayé d’éviter, croyant qu’il pourrait contourner les médias traditionnels en utilisant les réseaux sociaux. Avant même l’élection de lundi, il avait reconnu que ça n’allait pas marcher à son avantage et il s’est rendu disponible pour les journalistes accrédités à Ottawa.

De même, il a basé sa campagne au leadership conservateur sur un rejet de tout ce qui pourrait être considéré comme les élites : le gouverneur de la Banque du Canada, qu’il voulait congédier ; le Forum économique de Davos — il allait congédier le premier de ses ministres qui voudrait s’y rendre — et il prêchait la « liberté monétaire » en se faisant l’apôtre du bitcoin, en tout cas, jusqu’à ce que celui-ci perde à peu près la moitié de sa valeur.

Dans un Parti conservateur qui a effectué un important virage à droite depuis le départ d’Erin O’Toole, c’étaient peut-être des sujets porteurs. Mais, pour la majorité des Canadiens, c’était plutôt éloigné de leurs préoccupations quotidiennes.

Il essaie maintenant de parler d’inflation — la « justinflation » comme il l’a baptisée — mais si la situation économique est une grande préoccupation pour les Canadiens, ils ne semblent pas estimer que Justin Trudeau en est le premier responsable.

Pierre Poilievre est plus éloquent sur la crise du logement, mais il faut noter que même dans l’une des régions les plus touchées, comme le sud de l’Ontario, l’approche conservatrice n’a pas fait recette.

Même si le gouvernement est minoritaire et que des élections peuvent, théoriquement, être déclenchées à tout moment, il devrait rester encore pas mal de temps pour que l’aspirant premier ministre puisse recentrer son message et trouver des thèmes plus porteurs.

Mais cela implique de changer de ton. Durant la course au leadership conservateur, M. Poilievre a choisi d’être le candidat de la colère. Mais rien n’indique que la majorité des Canadiens partagent cette colère. Et il faudrait maintenant que le chef conservateur en prenne acte.