Il est important de parler de ce qui se passe à Trois-Rivières. Très important.

Le maire vient de se retirer temporairement du conseil municipal pour se reposer d’un climat qu’il qualifie de malsain. En effet, les accusations au conseil de Trois-Rivières se multiplient : incapacité de travailler en équipe, allégation de manque de transparence, bris de huis clos, favoritisme dans l’attribution des fonctions des élus, etc.

Ce genre de chaos se produit à un moment ou à un autre dans presque toutes les grandes villes. Rappelez-vous Longueuil ces dernières années, un conseil dysfonctionnel. Sherbrooke, même type d’enjeux.

Similaire à Gatineau. Saguenay, Rimouski, Saint-Jean, etc., de nombreuses villes ont connu, chacune à leur tour, des difficultés semblables.

Non, cela ne fait pas partie d’un cycle politique normal. Les villes sont devant un problème profond de gouvernance, problème qui devra être réglé un jour.

L’affrontement perpétuel

On dit parfois que la politique est l’« institutionnalisation du conflit », une méthode pour régler les différends, pour faire des choix, autrement que par la violence. On parle donc d’affrontements continus, parfois très respectueux, parfois moins, mais d’affrontements tout de même. C’est donc toujours humainement difficile.

À l’Assemblée nationale, pour débattre et trancher les débats, il y a un gouvernement, des oppositions et des instances où chacun joue son rôle. Le gouvernement gère l’État et doit rendre des comptes à la période de questions, lors des débats au Salon bleu et dans les comités. Les élus s’affrontent donc souvent, mais à des endroits et à des moments bien précis.

Il y a aussi une séparation claire entre l’exécutif (le Conseil des ministres) et le législatif (l’Assemblée nationale). Les uns gouvernent, les autres évaluent leur travail. Ce n’est pas le cas au municipal où tout est plus confus… et plus difficile à vivre.

Dans les villes, à l’exception de Montréal et de Québec où les partis politiques municipaux existent depuis longtemps, toutes ces fonctions sont mélangées. Dans un conseil comme celui de Trois-Rivières, où tous les élus sont théoriquement indépendants, il n’y a pas de séparation claire entre le gouvernement et l’opposition : à chaque vote, les élus peuvent appuyer ou dénoncer le maire.

Il n’y a pas non plus de division claire entre le législatif et l’exécutif, le conseil jouant en partie les deux rôles. Les élus siègent aux comités municipaux qu’ils soient d’accord ou non avec les orientations municipales et y défendent ou non le programme pour lequel le maire a été élu.

Pour donner un peu de cohérence à tout cela, outre son pouvoir de conviction, le maire a très peu d’outils. Même s’il est le seul à avoir un programme appuyé dans toute la ville, il a le même vote que chacun des autres élus. Ce n’est même pas lui qui nomme les élus aux différents comités, c’est le conseil.

Donc, tout le monde s’affronte partout, tout le temps. Facile d’en arriver à un climat « malsain ».

Auparavant, le système sans parti politique fonctionnait. Les villes avaient un rôle très limité, il était possible de s’entendre et de « travailler en équipe ». Aujourd’hui, les fractures politiques se multiplient au même rythme qu’on augmente le rôle des villes : transports en commun, environnement, participation citoyenne, fiscalité, développement économique et social, aménagement du territoire, etc. Elle est finie l’époque où le seul vrai débat portait sur la hausse de taxe. Finie aussi l’époque où le maire gérait seul sa ville, il en a maintenant trop à faire et les autres élus veulent et doivent participer.

Cela explique le chaos dans les villes où le maire, faute de majorité ou d’un fort ascendant sur le conseil, ne peut assurer une direction claire.

Autres effets pervers de cette gouvernance viciée :

Tout le monde a accès à toutes les instances. Donc, ceux qui font partie de l’opposition formelle ou informelle, opposition systématique ou ponctuelle, ont accès à de l’information privilégiée. Ils veulent la rendre publique rapidement, dénoncer des scénarios qui ne leur plaisent pas, alerter des partenaires, souvent avant même que les tenants du projet aient déterminé ce qu’ils veulent déposer au conseil. Les bris de huis clos ne sont pas rares. Si un élu n’est pas invité à une rencontre, il dénonce le favoritisme, les fonctionnaires ne savent plus qui est le patron, les citoyens ne comprennent pas ce qui se passe, etc. Épuisant.

La solution ? Faire comme aux autres ordres de gouvernement : séparer les fonctions des uns et des autres et, ensuite seulement, chercher à travailler dans la collégialité. L’outil plus efficace pour y arriver est d’avoir des partis politiques municipaux bien implantés comme à Montréal et à Québec : ils structurent les échanges, clarifient la gouvernance et rendent beaucoup plus transparentes les allégeances des uns et des autres.

Dans le monde municipal, promettre la fin des chicanes est un classique. Elles ne disparaîtront pas, les débats non plus, l’objectif même de la politique, c’est de les gérer. Mais une gouvernance floue peut rendre les gens malades, et cela, c’est un problème qui se règle. Il faudra le faire un jour.

Rectificatif

J’ai fait une erreur importante dans ma dernière chronique intitulée « De bonheur et de PIB » qui rend inexacte une partie significative de mon texte. Pour comparer les 15 pays les plus heureux, selon le World Happiness Report, ceux qui ont le meilleur indice de développement humain (IDH) de l’ONU, avec les plus riches, j’ai pris le PIB total des pays et non le PIB par habitant… ce que j’aurais évidemment dû faire et ce qui fait toute la différence. On ne parle plus du tout des mêmes pays ! Quand on prend le PIB par habitant, 10 des 15 pays sont les mêmes dans les trois listes, alors qu’il n’y en avait qu’un seul en utilisant le PIB total. Le PIB reste un indicateur qui ne dit pas tout, c’est pourquoi son utilisation recule. Mais s’il ne fait pas le bonheur, il n’y est pas aussi étranger que ce que j’affirmais. Vous me voyez désolé de cette erreur.