Avertissement : ce texte n’est pas une apologie des drogues psychédéliques qui ont leur part de danger et de psychoses délétères dont il faut se méfier.

Sans empiéter sur le magistère du très compétent Hugo Dumas, je vais parler de la série The Last of Us. Une production dans laquelle deux héros doivent survivre dans un monde postapocalyptique où errent des humains zombifiés par un champignon cordyceps. Le plus connu de ces manipulateurs parasitaires est Ophiocordyceps unilateralis.

Ce champignon squatte une fourmi charpentière, la zombifie et l’amène vers une mort atroce et bien scénarisée. Comme dans la série en vogue, la fourmi devient une simple marionnette à la merci du parasite, devenu marionnettiste.

Puisque la production cartonne, la curiosité des télévoreurs pour ce parasitisme fongique a aussi augmenté. Alors, à la place de vous raconter les séquences de cette sorcellerie évolutive, je vais répondre à la question que beaucoup de personnes se posent : est-ce que les champignons peuvent contrôler le cerveau humain ?

Le champignon qui a inspiré la série est une espèce apparentée à l’ergot de seigle, un autre champignon qui déclenche des convulsions musculaires incontrôlables chez les personnes qu’il infecte.

Dans un formidable bouquin intitulé Le monde caché, le biologiste Merlin Sheldrake rapporte que les accusateurs des fameux procès de Salem étaient probablement intoxiqués (zombifiés) par des alcaloïdes de ce champignon qui contamine les céréales.

Au XVIe siècle, des sages-femmes de France et d’Allemagne utilisaient les pouvoirs de l’ergot de seigle pour déclencher des contractions utérines. Une tradition qui mènera à la découverte du LSD, un alcaloïde d’origine fongique qui a aussi zombifié bien des humains.

C’est au chimiste suisse Albert Hofmann qu’on doit la découverte du LSD, l’abréviation du diéthylamide de l’acide lysergique. Hoffman, qui travaillait pour la société Sandoz, avait reçu la mission de chercher dans l’ergot de seigle des molécules potentiellement capables de stimuler la circulation sanguine. En 1938, il avait synthétisé les 25 alcaloïdes contenus dans le champignon. À la dernière molécule, celle qui sera au centre de la contre-culture des années 1960, il donnera alors le nom de LSD-25.

À tout seigneur, tout honneur : le premier trip d’acide sera vécu par le découvreur. Une expérience qui le propulsa dans un univers aussi parallèle que celui de la fourmi charpentière tenue en laisse par Ophiocordyceps. Après le LSD, Hofmann sera aussi le premier à synthétiser la psilocybine, un alcaloïde psychoactif présent dans le psilocybe, ce champignon magique qui poussait au Mexique.

Selon Michael Pollan, auteur de Voyage aux confins de l’esprit, ces molécules d’origine fongique ont changé le cours de l’histoire sociale, politique, culturelle, ainsi que les parcours individuels de millions de gens. L’auteur trace même une ligne entre la découverte de ces drogues et la naissance de la Silicon Valley. La relation n’est peut-être pas directe, dit-il, mais on peut établir un lien entre l’arrivée des drogues psychédéliques et le boom technologique qui se produira 20 années plus tard dans la Silicon Valley.

Plus qu’un simple contrôle, ces alcaloïdes fongiques laissent des traces durables dans le cerveau humain. Le LSD et la psilocybine sont capables d’ouvrir la porte de la conscience humaine et d’y provoquer une dissolution de l’ego.

D’ailleurs, dans les années 1950, ces molécules ont été régulièrement utilisées par des spécialistes et thérapeutes pour soigner la détresse accompagnant un diagnostic de cancer, la dépendance à la nicotine, l’alcoolisme, les troubles obsessionnels compulsifs, etc. Malheureusement, les dérapages festifs avec ces drogues (qui peuvent aussi être très dangereuses) ont semé la panique et poussé le politique à réprimer l’usage des psychédéliques à partir de 1965.

Comment pouvait-on, en pleine guerre froide, tolérer des molécules qui amènent le cerveau de la jeunesse à critiquer le capitalisme et contester la place de l’humain dans la biosphère ? Comment le capitalisme pouvait-il célébrer des molécules qui, sans être inoffensives, bousculent les rapports au temps, balayent les certitudes et poussent vers une communion avec la nature ?

Rappelons qu’avant de tomber entre les mains du monde occidental, la nation mazatèque de la région d’Oaxaca, qui utilisait le psilocybe dans des rituels religieux, l’appelait « chair des dieux ». Si, comme le faisaient les chefs mazatèques, les élites politiques et intellectuelles du monde occidental avaient laissé ce champignon les mener vers la lumière, peut-être que notre impact sur la planète aurait été moins dramatique.

Malheureusement ou heureusement, cette fois, l’humanité a tourné le dos à la sagesse du monde fongique. Je dis bien cette fois-ci, car au tout début du développement des civilisations humaines, il y avait les champignons pour nous contrôler par le ventre et le cerveau.

Pour s’en convaincre, il suffit de penser à la place du pain, de l’alcool et du vin dans notre évolution. Si ces aliments sont largement cités dans les textes sacrés, c’est aussi en grande partie grâce au travail des champignons microscopiques, les levures.

Les chefs spirituels mazatèques célébraient la « chair des dieux », et avec son pain et son vin, le curé célèbre aussi le travail des levures. Il assimile même les produits de la fermentation microbienne à la chair et au sang d’un « fils de Dieu ».

En résumé, disons que la zombification de l’humanité par le champignon est plus subtile que les images de peur véhiculées dans la série The Last of Us. Il est vrai aussi que les champignons abritent des forces malveillantes qui nous donnent des maladies et massacrent notre agriculture. Mais qui a dit que les dieux et les esprits étaient toujours gentils avec l’humanité ?