Quel est le lien entre le fiasco informatique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la volonté de Christian Dubé, le ministre de la Santé et des Services sociaux, d’embaucher des gestionnaires de choc du secteur privé pour le réseau de la santé ? C’est la responsabilisation, garantie essentielle de la bonne gouvernance.

D’abord, la SAAQ. La première leçon à tirer de ce fiasco informatique, c’est que, pour tout gouvernement, informatiser les dossiers de millions de citoyens sera toujours un défi.

Mais le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, a fait vraiment le service minimum. Quand la controverse a éclaté, au début de ce mois, M. Caire a tout fait sauf admettre quelque responsabilité.

« On a demandé à la SAAQ s’ils étaient prêts. La SAAQ nous a dit : nous sommes prêts. Ça fait qu’on les a laissés aller », avait-il dit à l’Assemblée nationale.

Quelques jours plus tard, le ministre en rajoutait une couche : « C’est un projet de la SAAQ, conçu par la SAAQ, géré par la SAAQ, donc c’est à eux à expliquer ce qui se passe et ce qu’ils vont faire… À l’automne, j’ai fait des demandes pour avoir des informations, et les indicateurs qu’on nous montrait étaient au vert. Donc, je suis extrêmement surpris de la situation », disait-il le 8 mars.

Au retour de la semaine de relâche, le premier ministre François Legault allait dans le même sens : « Ce que je veux, dans les prochains jours, les prochaines semaines, c’est d’évaluer le travail du conseil d’administration de la SAAQ et du président de la SAAQ, parce qu’il y a eu de toute évidence une grave lacune de planification. »

Bref, autant le ministre responsable du Numérique que le premier ministre trouvaient un moyen de chercher des responsables plutôt que d’assumer leur part.

Heureusement, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, était revenue rapidement d’une mission en Europe pour mettre en place des mesures pratiques pour réduire les attentes à la SAAQ. Mais on ne peut pas dire que le gouvernement en général a été très proactif dans ce dossier. On a plus eu l’impression qu’on cherchait ceux qu’il pouvait blâmer.

Ce qui nous amène à la santé.

Au cours de la campagne électorale de l’an dernier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a fait la promesse de créer une agence, appelée Santé Québec, qui serait chargée de coordonner au quotidien les opérations du système de santé. Le ministère de la Santé et des Services sociaux continuerait de planifier et de mesurer la performance du réseau.

Mais, il faut le noter, les partis de l’opposition à Québec disent plutôt craindre que cela serve à déresponsabiliser le ministre et lui permette de rejeter le blâme sur l’agence quand la soupe deviendrait trop chaude.

Rien ne nous prouve d’entrée de jeu que la création d’une case de plus dans le complexe organigramme de ce secteur va améliorer la gouvernance de la santé au Québec. Mais comme le ministre le croit dur comme fer, on donnera la chance au coureur. Encore la semaine dernière, il promettait de « shaker » les colonnes du temple avec son projet de loi qui sera déposé sous peu.

Or, on vient juste de voir avec la SAAQ comment une agence indépendante peut servir de bouc émissaire en temps de crise. Le gouvernement avait beau jeu de blâmer la société et son conseil d’administration indépendant pour le fiasco informatique pour essayer de fuir quelque forme de responsabilisation que ce soit pour lui-même.

En passant, le fichier informatique de la SAAQ, c’est de la toute petite bière comparé à l’informatisation du dossier santé. La SAAQ n’a besoin que d’un petit nombre de données : nom, adresse, numéro de permis, numéro d’immatriculation. Ce n’est guère plus compliqué que les Pages blanches que publiait jadis Bell Téléphone. Imaginez maintenant la complexité du dossier santé qui peut compter des centaines de pages de données, sans parler des enjeux de confidentialité.

Et maintenant, M. Dubé rajoute un enjeu. Il veut que sa nouvelle agence de santé soit dirigée par des « top guns » qu’il débaucherait du secteur privé avec des salaires qui seraient concurrentiels avec ceux qu’ils connaissent au privé.

Depuis le temps qu’on craint la « santé à deux vitesses », voici maintenant venir les dirigeants du système de santé qui seront à deux vitesses de rémunération.

Il ne peut y avoir à peu près rien de plus démotivant pour les gestionnaires actuels du réseau de la santé. Certes, ils ont leurs défauts, mais ce sont eux qui ont tenu le réseau à bout de bras depuis des années. Et on leur dit, maintenant, qu’on les remplacera aux plus hauts niveaux par des « top guns » payés, bien sûr, avec du « top argent ».

Et si on croit que c’est comme ça qu’on va accroître la responsabilisation, c’est clair qu’on fait fausse route.