Non, je ne vous referai pas le coup de la chronique semi-écrite grâce au robot conversationnel ChatGPT-3.5. Je vous ferai grâce de lui demander ce qu’il pense des doutes exprimés à son sujet. Tout a été fait. On sait qu’il est foudroyant, étincelant, et qu’il progresse à vue d’œil.

L’appel de centaines d’experts mondiaux de l’intelligence artificielle (IA) a résonné fort cette semaine, comme un éveil.1 Parmi les signataires : le père de l’IA au Canada, Yoshua Bengio, Steve Wozniak, cofondateur d’Apple, Elon Musk. Ils demandent un moratoire de six mois sur la recherche, invoquant des risques majeurs pour l’humanité. Marquer une pause, le temps d’évaluer, de voir quels pays et quelles entreprises sont dans la course, de créer des instances, des paramètres d’utilisation de l’IA. À cet égard, le Canada, avec le projet de loi C-27 sur la protection de la vie privée, sur l’IA et les données, fait figure de précurseur. Vendredi dernier, l’Italie a banni les robots conversationnels de son territoire.

Ces sommités sont inquiètes. Non : alarmées. Tous les signataires s’accordent pour célébrer les vertus de l’IA, qui sera d’un grand secours dans plusieurs domaines : santé, éducation, lutte contre les changements climatiques. On peut les traiter d’illuminés (bonjour, Elon Musk !), de conservateurs craignant le progrès, mais ils ont visiblement perçu le côté obscur de la force.

Les plus de 1000 signataires ont vu quelque chose que certains pressentent depuis les balbutiements de l’IA. Les robots conversationnels peuvent présenter de graves risques pour la société et l’humanité, affirme Bengio.

Les progrès ahurissants de l’IA en quelques semaines préfigurent une révolution anthropologique majeure. Quel usage en ferons-nous ?

Ils suggèrent donc un moratoire de six mois. Pourquoi six ? Ça ressemble à un aveu de la part de ceux qui n’avaient pas su voir plus loin, malgré les mises en garde répétées des éthiciens, que le légendaire dentifrice ne peut plus rentrer dans le proverbial tube une fois sorti. Ou alors, à l’aveu de ceux qui ne sont pas assez prééminents dans la course à la plus puissante IA… Pays et corporations s’affrontent, Meta a déjà développé un cortex visuel artificiel. On peut même se demander sur quoi groupes ou États malveillants travaillent actuellement.

Mais que changeraient six mois de pause ? Rien. Tous ne suivront pas. Si le dark web existe, imaginons les velléités sombres de puissances mal intentionnées…

Plusieurs observateurs du milieu de l’IA ont comparé la révolution que celle-ci induit à la découverte de la puissance atomique : un tournant radical dans l’histoire de l’humanité et sa capacité à s’autodétruire.

Peut-on policer l’IA ? On n’arrive même pas à réglementer les plateformes numériques comme Netflix, ou à assainir les réseaux sociaux, outils de propagande et de désinformation hors contrôle ! La lettre des spécialistes est un gigantesque aveu d’impuissance, une mise en garde paniquée et glaçante de créateurs dépassés par leur créature, qui ont vu le monstre, qui ont les deux mains dedans, contrairement à nous, public semi-pâmé devant la maladresse polie et brillante de ChatGPT. Les chercheurs craignent que des robots plus smattes et plus nombreux que les humains prennent le contrôle de notre civilisation. PRENNENT. LE. CONTRÔLE.

L’IA fait son nid dans des sociétés de plus en plus divisées, polarisées, crinquées et, paradoxalement, naïves et crédules. La confiance, le ciment des démocraties, est ébranlée depuis plusieurs décennies.

Allons-nous laisser les machines inonder nos canaux d’information de propagande, de mensonges ? demandent les signataires. L’IA favorise-t-elle, en fin de compte, les démocraties ou les dérives autoritaires ?

Nous n’avons encore rien vu. « Ces derniers mois ont vu les laboratoires d’IA s’enfermer dans une course incontrôlée pour développer et déployer des cerveaux numériques toujours plus puissants, que personne – même pas leurs créateurs – ne peut comprendre, prédire ou contrôler de manière sûre », écrivent les spécialistes dans leur lettre.

Nos sociétés sont fragiles. La méfiance y règne, la désinformation et la mal-information s’y développent, l’analphabétisme y est bien partagé. Les pouvoirs de l’IA, dans cette perspective de démocratie vacillante, sont un formidable allié des autocrates aux rêves insensés, ou d’individus malveillants. Nous sommes poreux à un contrôle et une manipulation des images et des mots.

Certes, l’IA est une révolution. Mais aussi une incroyable menace à notre intégrité et à celle de nos sociétés. Menace à la démocratie, alliée des complotistes, des leaders peu scrupuleux, des régimes autoritaires. Nous avons franchi un point de non-retour, six mois n’y feront pas grand-chose.

Mais je suis sceptique et pessimiste. Ça, ChatGPT vous le confirmera…

1 Lisez l’article : « Intelligence artificielle : Musk, Bengio et un millier d’experts demandent une pause de six mois »