Riche semaine. Un verglas dévastateur, Hydro questionnée, des arbres mal émondés, le tracas engendré par le tout à l’électricité, les sinistrés urbains ont bien failli l’emporter à la bourse de l’actualité.

On a aussi vu ressurgir les accommodements raisonnables et l’angle mort de la loi 21. Non pas les signes religieux ostentatoires, mais les lieux physiques consacrés à la prière. C’est le sujet montant, chez les commentateurs. Mais malgré toute cette concurrence, la palme de l’intérêt revient à « l’affaire » des drag queens, probablement parce qu’elle concentre un pan de l’atmosphère de l’époque.

Rappelons les faits. Barbada, la plus pédagogique des drags, devait aller, comme il le fait régulièrement, lire des contes à des enfants dans la ville de Sainte-Catherine. Une manifestation de parents, mais pas que, d’anciens antivax notoires recyclés en antidrags, l’attendait. C’est pour ainsi dire la perruque qui mit le feu au dressing. Pour les détracteurs de Barbada et de ses consœurs, les drags sont en mission pour corrompre les jeunes esprits. Elles montreraient, dès le plus jeune âge, qu’il est possible de ne pas être assigné à son genre, de s’autodéterminer. Une forme ludique du militantisme de la théorie des genres. Accessoirement, des manifestants avançaient aussi les arguments du pédo-satanisme !

Pour certains, les drag queens en mènent large au Québec. Tous les shows de télé les invitent, la flamboyante Rita Baga est un personnage à plein temps dans nos écrans, l’attachante Mona de Grenoble a triomphé récemment à Big Brother Célébrités. Pourquoi ?

Elles sont pour les uns inoffensives et divertissantes. Pour les autres, le cheval de Troie paré de brutaux stéréotypes féminins. Chose certaine, elles sont l’objet d’une guerre de tranchées idéologique.

À travers leurs personnages, toute la question de la théorie du genre, de la construction des identités est mise en évidence, on touche à des combats LGBTQ aigus. Le politique s’est jeté dans la mêlée barbadesque, votant à l’unanimité une motion déplorant « les propos haineux et discriminatoires envers les personnes de la communauté LGBTQiS2+ dans la sphère publique ».

Mais tout n’était pas dit. La guerre a culminé vendredi dans Le Devoir. Pour ceux et celles obnubilés par le congélateur qui dégelait et la panne majeure, bref, le monde réel des vraies affaires, genre, récapitulons. Deux chroniqueurs aux antipodes idéologiques, dans les mêmes pages, ont traité de l’affaire. Christian Rioux observait que les drag queens sont transformées en tristes commissaires de la bonne parole genrée, et que la presse culturelle nous (fait) la morale. Tandis que pour Aurélie Lanctôt, la panique anti-queer se présente dans des habits puritains.

À droite comme à gauche, on se traite mutuellement de puritains. Nous voici donc au degré zéro de l’insulte : PURITAIN.

Puritain désigne celui qui affiche une pureté morale scrupuleuse, un respect rigoureux des principes. Synonymes : austère, pudique, rigoriste, moraliste. Deux puritanismes existent donc, celui des coincés du cul et celui des coincés de l’esprit. Les curés anti-débauche et les moralistes de la pensée.

Nous nous en doutions bien : nous vivons une époque puritaine, malgré les apparences lousses et le grand déballage de l’hypersexualisation. On les a vu fleurir, ces traumavertissements aux publics sensibles, avant les livres, les films, les séries. On les constate, ces propos prêcheurs en humour, en art…

Les allégations de puritanisme sont, chez les uns comme chez les autres, une insulte, bien sûr. Mais pour le moment, c’est presque un concours à savoir qui sera le plus pur, le plus moralement correct, le modèle de vertu post-moderne, le moins corrompu par une pensée « sale ». Il faut se ranger dans le camp du bien. Car le contraire de la pureté morale est la fermeture d’esprit, et non pas l’impureté, la dissidence, l’audace, qu’on peut critiquer, mais qui se doivent d’exister. L’ordre moral puritain progresse dans tous les domaines, et de tous les côtés du spectre politique. Le puritanisme est devenu une option politique, où les extrêmes gauche et droite se rejoignent. Il nous enchaîne.

Heureusement, et peut-être à cause du rigorisme ambiant, plus grand monde ne se lâche lousse sans discernement ou sensibilité à l’Autre. Probablement aussi parce que nous sommes collectivement plus instruits, mieux éduqués. Le camp paisible et accueillant du « vivre et laisser vivre », ouvert et curieux, pour qui une drag queen est une sympathique figure de la diversité, domine. Pour la majorité, les drags ne sont ni les porte-parole de la « nouvelle religion diversitaire », ni les « facilitatrices du pédo-satanisme » !

Le puritanisme outré aura-t-il raison du gros bon sens de la majorité ? Calmons-nous, et rappelons-nous que ce débat fait rage au Québec, royaume du consensus, de la bonne entente, où tout le monde aime la gentillesse et le linge mou, même les drag queens, dans le confort de leur foyer ! Notre coton ouaté idéologique est peut-être le meilleur rempart contre la montée de la raideur du puritanisme…