La tempête de pluie verglaçante qui a déferlé sur une partie du Québec le 5 avril a durement frappé Montréal. Du centre-ville jusqu’à l’ouest de la ville, des centaines de milliers de foyers privés de courant pendant plusieurs jours. L’île de Montréal n’avait pas dû composer avec de telles circonstances depuis la crise du verglas de 1998, mais peut néanmoins se compter chanceuse que les températures aient été beaucoup plus clémentes cette fois.

Il ne fallait pas un doctorat en génie électrique pour conclure que les équipes d’Hydro-Québec auraient besoin de plus que quelques heures pour stabiliser le réseau. Des quartiers regorgeant de magnifiques arbres comme Outremont et Mont-Royal ressemblaient à des camps de bûcherons abandonnés à la hâte après des opérations de coupe illégales.

Il faut regretter que des résidences pour aînés aient été plongées dans le noir pendant de nombreux jours, mais une tempête ne dévie pas de sa trajectoire parce qu’elle traverse une zone avec des gens vulnérables.

Je m’interroge toutefois sur notre tolérance face aux cas de force majeure. En droit, on m’enseignait qu’à l’impossible nul n’est tenu. Le réseau d’Hydro-Québec fait l’envie de ses pairs partout sur la planète. Mais pour certains, il faudrait qu’il soit imperméable à toutes les intempéries, peu importe l’intensité.

En s’inspirant du mur qui s’érige devant Venise pour la protéger des aléas des marées, pourquoi pas un bouclier géant amovible ?

Les mêmes badauds en extase l’été lorsque les branches feuillues de deux grands arbres forment un accent circonflexe parfait au-dessus d’une rue du centre-ville appellent aux états généraux parce que des branches tombent au milieu de la chaussée ou sur des autos garées.

Je suis persuadé que l’administration municipale fera un meilleur travail pour recenser les arbres plus fragiles (et procédera à l’émondage nécessaire).

Mais quand il tombe des dizaines de millimètres de pluie verglaçante en quelques heures, même les branches d’arbres robustes céderont. Et on ne commencera pas à attacher tous les arbres en ville pour l’hiver comme on le fait avec les arbustes frêles devant nos maisons.

Après deux ou trois jours de panne, le gouvernement Legault s’est lui aussi retrouvé dans la ligne de mire des critiques. Les zones particulièrement éprouvées étant représentées à l’Assemblée nationale par Québec solidaire et le Parti libéral, le lien de cause à effet était trop facile pour certains.

Montreal Gazette, qui a l’épiderme fragile lorsque les communautés anglophones sont touchées, a plus ou moins suggéré en manchettes cette semaine que Montréal avait été négligée pour des raisons politiques.

La proposition est absurde, mais la CAQ ne s’aide pas non plus. Elle entretient à dessein une relation distante et floue avec Montréal. Ses manœuvres électorales habiles de dépeindre Montréal comme un berceau de rebelles (la langue, les signes religieux) lui aura permis de consolider un vote en octobre dernier qui ne reconnaît plus Montréal (même si dans certains cas, il n’y a pas mis les pieds depuis 15 ans…).

Qu’un député caquiste, lors d’une réunion avec une MRC, hoche vigoureusement la tête lorsqu’un invité ironise sur les « problèmes » de Montréal ne surprendrait personne.

Les Montréalais jadis enviés par leurs cousins québécois doivent souvent justifier leur décision d’habiter la métropole. Leurs interlocuteurs citent toujours les mêmes éléments – les imposants travaux d’infrastructure, la criminalité et la multiplication des itinérants.

En passant, ça s’appelle des problèmes de grande ville – mes amis qui habitent New York, Londres et San Francisco vivent les mêmes trucs y compris celui de se loger à un prix convenable. Mais comme moi, ils ne changeraient pas d’adresse.

Les travaux d’infrastructure qui « dérangent » auront donné à Montréal dans la dernière décennie trois hôpitaux de classe mondiale dont certains spécialistes, dois-je le rappeler, soignent beaucoup de « non-Montréalais ». Et dans plusieurs cas leur sauvent la vie.

Ces travaux créeront aussi un réseau de transport collectif fabuleux (le REM) qui va nettement améliorer la qualité de vie des Montréalais et la fluidité du transport dans la métropole pour tous les Québécois. Des villes avec des populations beaucoup plus importantes rêvent de se doter d’un REM.

Montréal était le poumon économique du Québec il y a 50 ans et l’est toujours. Combien d’emplois partout au Québec dépendent de visiteurs, de consommateurs et de fournisseurs de Montréal ? Mon père aurait répondu « en masse ». Et la place que la culture et le savoir prennent ici donne à la ville des airs de laboratoire où l’audace et la créativité nous font vivre des expériences incomparables.

Ayant grandi à Québec et habité Londres, j’ai toujours porté un regard très objectif sur Montréal. Je lui reconnais des imperfections. Mais j’ai atteint un niveau d’ennui sur les sempiternels débats autour des cônes orange, de la circulation sur les ponts ou de la présumée mainmise des wokes du Plateau sur l’appareil municipal. J’aime ma ville telle qu’elle est, peu importe ce que peuvent en penser certains élus. Et je l’aime même dans la noirceur.