J’étais à l’épicerie. Nous étions en mars 2022, je n’étais plus maire depuis cinq mois. Je recommençais à vivre à un rythme normal. J’ai soudainement entendu à la radio le début d’une publicité gouvernementale : « Si vous êtes en zone inondable… ». Mon cœur s’est contracté tout d’un coup, j’ai repoussé mon chariot et j’ai regardé vers la sortie en me disant : « Il faut que j’aille au bureau ». Pendant une fraction de seconde, j’étais redevenu maire d’une ville sinistrée.

Assez vite, je suis revenu sur terre. Ce n’était pas à moi d’agir, quelqu’un d’autre était au poste. Il n’y a pas eu d’inondations cette année-là. Je vous raconte cela pour illustrer que si j’ai vécu ce genre de stress, alors que ma maison a toujours été au sec, il faut imaginer ce que vivent, chaque année, les gens dont la maison est menacée. Dur pour la santé.

Je vous entends d’ici dire que les gens devraient déménager, que les contribuables en ont assez de payer, que votre capital d’empathie diminue, qu’il faut trouver une solution durable. Vous avez raison, mais ce n’est pas si simple. Voici quelques éléments de réflexion.

Oui, il y a des gens qui profitent de la vue sur la rivière et qui devraient le faire à leurs seuls risques et périls. Mais, loin du cliché des grosses cabanes construites illégalement le long de la rivière, il y a des quartiers comme celui de Pointe-Gatineau, le quartier le plus touché chez nous. Le premier colon européen de Gatineau y est arrivé avant même que l’urbanisme soit inventé. Le quartier est en pleine zone urbaine, la plupart des gens ne voient pas la rivière. On y a même trouvé des sites autochtones vieux de 6000 ans, c’est dire la logique de s’y installer.

À Gatineau et dans bien d’autres villes du Québec, le vrai portrait de la majorité des sinistrés, c’est celui-là. C’est aussi le portrait des sinistrés de l’avenir, car le climat en fera de nouveaux, dans d’autres quartiers tous aussi urbains.

Cela étant dit, le problème reste entier. Que faut-il faire ? Partir ?

Le gouvernement a mis en place quelques mesures pour inciter les gens à déménager.

La première était une offre de payer 200 000 $ pour une maison et 50 000 $ pour un terrain aux gens qui voulaient quitter les quartiers inondés. La valeur moyenne d’une maison unifamiliale à Gatineau est aujourd’hui autour de 500 000 $. Les gens ne veulent pas perdre le plus gros investissement de leur vie. À ce jour, seuls ceux dont la maison a le moins de valeur ou ceux qui étaient les plus mal pris sont partis. Évidemment, beaucoup de ceux qui restent ont fait immuniser leurs maisons : à chaque nouvelle inondation, nous devrions en perdre moins.

La seconde mesure est l’établissement d’une limite à l’aide gouvernementale que les sinistrés recevront, à vie, pour une même adresse. Même pour une maison immunisée, une inondation coûte cher : dégâts matériels sur le terrain, déménagement temporaire, nettoyage, etc. Pour les plus riches, ça va, comme toujours. Pour les autres, ça incite à partir, mais à petit feu.

Résultats ?

Les quartiers survivront grâce à ceux qui ont les moyens d’y habiter. C’est un bel exemple des changements climatiques qui accentuent les inégalités sociales et qui réduisent la mixité sociale dans certains quartiers.

Par ailleurs, avec le temps, il y aura de plus en plus de trous dans les quartiers. Certaines municipalités doivent déjà entretenir les réseaux souterrains, déneiger, éclairer, asphalter des rues où il ne reste que deux ou trois maisons.

Le programme d’aide pour encourager les départs était en réaction aux inondations : on attend toujours la mise en place d’un programme permanent. Si le gouvernement veut vraiment que les habitants quittent certains secteurs, cet éventuel programme devra couvrir la pleine valeur des propriétés, sinon les gens ne partiront pas. Grâce aux nouveaux outils de cartographie, nous connaissons aujourd’hui beaucoup mieux les zones et même les édifices à risques élevés. Une action plus ciblée est possible.

Les solutions durables sont complexes et coûteuses. Ailleurs dans le monde, des municipalités immunisent des quartiers au complet pour que les gens puissent y habiter en toute quiétude ou encore, elles en planifient la démolition, le retrait des infrastructures et l’aménagement des lieux pour mieux accueillir les crues.

Immuniser des quartiers, investir massivement pour adapter nos infrastructures aux changements climatiques, restaurer les milieux naturels et les milieux humides pour redonner de l’espace à l’eau, acheter les maisons au prix du marché pour que les gens partent : ce sont de vastes chantiers qu’il faut faire progresser. Les coûts de ne pas le faire, pour les gens d’abord, mais aussi pour l’État, sont immenses.