Faque finalement, l’épisode covidien est en quelque sorte derrière nous. C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vivement critiquée pendant la pandémie, qui en a marqué la fin officielle en déclarant vendredi ne plus considérer la COVID-19 comme une urgence sanitaire internationale. Voilà une bonne nouvelle.

Ce soir, j’animerai une Conférence de la montagne, dans le cadre de l’Acfas, une discussion où trois scientifiques de haut vol réfléchiront sur ce qui s’est passé pendant la pandémie. Caroline Quach-Thanh, Ryoa Chung et Amélie Quesnel-Vallée seront réunies pour discuter de Science, médias et politique en temps de crise. Préparant la rencontre avec elles, j’ai réalisé que ce serait leur premier bilan public en bonne et due forme. Bien sûr qu’elles ont pensé entre professionnelles à ce qu’a signifié la COVID-19, le confinement, les différents aspects de la pandémie, mais elles n’ont pas eu l’occasion d’avoir, devant des Québécois qui ont vécu ces temps étranges, ce qui serait comme l’occasion de faire un bilan.

Et pourtant, ces conversations dans l’espace public sont nécessaires pour tourner symboliquement la page.

Dans le champ scientifique : comment communiquer avec la population, en temps de crise ? Faut-il se ranger derrière le politique ? La Santé publique est-elle trop politisée ? La population est-elle scientifiquement éduquée ? Peut-on, doit-on TOUT dire ?

Il faudrait aussi oser des bilans publics dans plusieurs domaines, afin de ne pas recommencer éventuellement les mêmes erreurs.

Par bilans publics et efficaces, j’entends bilans nourris de données probantes, pas que des impressions et du ressenti.

Ainsi, à propos des personnes âgées, on a visiblement négligé de tenir compte du bilan très critique de la coroner Géhane Kamel sur la gestion de la première vague dans les CHSLD. On avait dit « plus jamais » et pourtant, les conditions de vie – et de mort – des aînés continuent à être souvent misérables, et ce groupe, un des plus grands oubliés de la société québécoise.

Il faudra aussi faire un bilan politique. La CAQ a surfé sur sa « bonne gestion » de la pandémie et ça l’a reconduite au pouvoir. Mais quels plis ont été ce faisant donnés à la gouvernance du Québec ? Le paternalisme, le populisme, des faits escamotés : tout était là pendant ces deux années, et nous en ressentons les effets dans le monde post-COVID-19. Où se fera le réel bilan de ces 24 mois politiques suspendus ? Aux prochaines élections ? Pas certaine…

Que dire du bilan médiatique… A-t-on été trop derrière le politique et les conférences de presse du trio gouvernemental ? Fallait-il donner de la visibilité ou non aux antivax, les « challenger » ? Si oui, comment ? Si non, à quel prix social ? Peut-on aujourd’hui en parler, revenir sur ces mois particuliers pour le journalisme ?

Bilans dans le monde du travail : le mode hybride est là pour de bon. Il perturbe les habitudes de plusieurs employeurs, fait le bonheur de plusieurs employés. Le télétravail est-il un droit ou un privilège ? A-t-il une valeur, si oui : laquelle ? Comment l’intégrer aux conventions collectives, le calculer, le gérer ?

Bilan dans nos manières d’habiter. Plusieurs ont quitté les villes pour les banlieues et les régions, venant enrichir – et parfois perturber – des milieux tissés serré, important des désirs, des manières de faire et de vivre qui bouleversent les milieux.

Cette grande migration change notre rapport au centre-ville, au territoire, à l’étalement urbain. Brasse les cartes partout. Qu’arrivera-t-il aux villes mal aimées, aux régions réinvesties ?

Peut-être qu’avec la fin officielle sonnée par l’OMS, nous verrons ce type de bilans surgir un peu partout, dans plein de domaines. En fait, je suis surprise que depuis un an que nous vivons notre best life, nous ne soyons pas revenus sérieusement et collectivement sur ce que nous avons vécu et appris. Peut-être est-ce trop tôt, un an ? Des bilans féconds se déploieront-ils bientôt ? Probablement que des spécialistes, des politiciens, des soignants, des artistes accoucheront d’analyses sur ce qu’ils, ce que nous avons vécu. Car c’est nécessaire. Nous avons bien dû apprendre quelque chose de ces deux ans !

Tout le monde a été bouleversé. La vie a basculé pour certains. Des scientifiques se sont fait menacer, la présence sur les réseaux sociaux s’est envenimée, des fossés se sont creusés, des manières de vivre ont radicalement changé. Tous ces effets doivent être mesurés, afin de reconstruire mieux et durablement.

L’OMS a donc décrété que c’était terminé. Mais nous, ça fait un an que nous avons quitté la COVID-19. Nous avons ghosté la pandémie et sa vie entravée. Pourtant (ou peut-être à cause de ça) demeure cette impression de non-dit, de non-réfléchi, de finale précipitée, de « patte en l’air ».

Vivement des bilans publics afin que la pandémie soit, dans nos têtes et dans nos pratiques, derrière nous…