Je profite du premier match de la finale de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) pour vous parler d’arénas.

Il y a quelques années, j’ai eu la chance de souper en compagnie de Vladislav Tretiak, le légendaire gardien de but russe. Alors que je lui parlais d’un modèle d’amphithéâtre payé en partie par le privé non traditionnel (j’y reviens plus loin), il m’avait dit qu’une des explications de la force du hockey canadien, petit pays par rapport à la Russie, était le nombre d’arénas par habitant. Il avait cité de mémoire les statistiques russes et canadiennes : la Russie ne faisait pas le poids.

Le Québec a le même type de retard par rapport au reste du Canada. L’Alberta, par exemple, dont la population est la moitié de la nôtre, possède 450 arénas et nous 395⁠1. Les Albertains ont donc, toutes proportions gardées, beaucoup plus de jeunes joueurs et beaucoup plus de joueurs d’élite que nous (et une proportion étonnante de joueuses). Il y a évidemment beaucoup de facteurs qui favorisent l’accès à un sport, mais la présence d’installations augmente nécessairement le bassin de joueurs… encore plus quand les glaces extérieures sont victimes des changements climatiques.

Mais les arénas coûtent cher : il faut trouver des solutions novatrices de financement.

Au moment de la discussion avec Trétiak, Gatineau sortait d’un très long feuilleton pour trouver un nouveau domicile aux Olympiques de Gatineau. Nous avions dit non à un projet de centre multifonctionnel de 80 millions (vote 10-9), projet ne comprenant qu’une seule glace, pour ensuite innover avec une solution unique au Québec, solution dont le gouvernement du Québec devrait s’inspirer.

La voici.

Inaugurée en 2021, cette infrastructure comprend trois glaces communautaires et un amphithéâtre pour les Olympiques, amphithéâtre capable d’accueillir jusqu’à 5000 spectateurs. Le tout a coûté 100 millions, dont le tiers⁠2 a été payé par une entreprise d’économie sociale reconnue, à but non lucratif : Vision Multisports Outaouais (VMSO).

Une telle contribution du privé (36 millions sur 100 millions), c’est du jamais vu dans le junior majeur au Québec. Pour une fois, on sortait du modèle où les risques relèvent du secteur public et les profits sont privatisés.

Note : une entreprise d’économie sociale, ce n’est pas du privé traditionnel, il n’y a pas d’actionnaires, la totalité des surplus est réinvestie dans la mission de l’organisme (favoriser l’accès à la pratique du sport). Mais VMSO reste une entreprise : elle ne reçoit pas de subvention de fonctionnement et elle doit faire ses frais, sinon c’est la faillite.

Ce n’est pas tout. VMSO assure aussi la gestion de l’ensemble de l’infrastructure. Pour rentabiliser les opérations, l’organisme peut entreprendre des activités commerciales souvent interdites aux villes.

L’OBNL loue ses glaces et l’ensemble de ses espaces à qui il veut. L’amphithéâtre peut aussi se transformer en salle de spectacle. Par ailleurs, les Olympiques deviennent locataires de VMSO et non pas de la Ville. Ce détail n’est pas banal. Le chantage occasionnel des équipes de hockey junior auprès des villes est assez bien documenté (les Olympiques n’ont pas fait exception). Parfois, pour avoir des avantages, elles menacent carrément de partir. Dans ce modèle, les Olympiques doivent maintenant s’adresser à VMSO. La négociation se passe donc entre deux entreprises privées, ce qui est un gain non négligeable pour la Ville et les contribuables.

Le modèle de gestion est basé sur la signature d’un bail emphytéotique de 45 ans. VMSO a l’obligation d’investir annuellement dans une réserve de cycle de vie pour que le bâtiment soit en bon état quand il sera rétrocédé à la Ville.

La contribution municipale consiste à louer des heures de glace pour maintenir essentiellement la même offre municipale qu’auparavant. C’est cette garantie de location qui donne de la solidité financière à VMSO.

La Ville se retire donc complètement de la gestion de l’infrastructure elle-même et elle ne gère ni l’offre de spectacle, ni les ligues adultes, ni les Olympiques, etc. Nous avions calculé que la Ville économiserait au minimum 33 millions de dollars sur 45 ans.

Ce modèle, l’économie sociale, est un des moyens de faciliter le rattrapage en matière d’équipements municipaux, culturels ou sportifs. Le gouvernement devrait l’encourager. Mais il y en a un autre. Les équipes de la LNH sont milliardaires⁠3. Leur richesse dépend notamment de la capacité des villes de faire patiner des enfants. Pourquoi les équipes ne contribuent-elles pas au financement des arénas ? Je pose la question.

Un dernier conseil. Si une ville accepte que la possibilité de monnayer le nom d’un amphithéâtre sportif fasse partie du cadre financier du gestionnaire de l’édifice, elle devrait mettre des conditions, par exemple, que le nom soit français et qu’il ne fasse pas référence à de la malbouffe. Nous ne l’avons pas fait et l’édifice s’appelle aujourd’hui le Centre Slush Puppie au lieu, par exemple, de Centre André-Beaudoin, homme d’affaires de Gatineau, père de Slush Puppie Canada. Celle-là, je vais la regretter longtemps.

Pour le reste, j’espère que le modèle fera école. Tout le monde y gagnera.

1. Lisez le rapport du Comité québécois sur le développement du hockey

2. VMSO : 16,5 millions de dollars d’investissement et emprunt de 20 millions de dollars chez Investissement Québec (36 % des coûts totaux) ; gouvernement du Québec : 26,5 millions de dollars ; Ville de Gatineau : 37,9 millions de dollars

3. Lisez l’article de Richard Dufour sur la valeur du CH