La vérité, dit le proverbe, sort de la bouche des enfants. En politique, elle sort surtout de la bouche des chefs qui quittent la scène. Dans ce qui sera son dernier discours à la Chambre des communes, l’ancien chef conservateur Erin O’Toole vient d’en faire la preuve.

En prenant bien soin de ne nommer personne, il a servi à ses collègues – et plus directement à son propre parti – un avertissement bien senti sur la manière dont ils font de la politique et comment ils contribuent à transformer la Chambre des communes en théâtre pour les médias sociaux.

« La politique de la performance nourrit la polarisation […] et trop souvent nous utilisons cette Chambre pour générer des clics en lieu et place de débats nationaux », a soutenu M. O’Toole.

Les médias sociaux n’ont pas bâti ce grand pays, mais ils commencent à détruire sa démocratie. Si nous ne sommes pas prudents, il y aura une génération de jeunes électeurs qui n’auront jamais entendu un point de vue différent du leur.

Erin O’Toole, ancien chef conservateur

Et, dans une allusion à peine voilée à son successeur Pierre Poilievre, il a dénoncé ceux qui utilisent les théories du complot contre des institutions comme l’ONU ou le Forum économique mondial. L’actuel chef conservateur a fait campagne à la direction du parti contre ce forum qui se réunit à Davos, en Suisse, disant qu’il n’y enverrait jamais un de ses ministres.

Ce discours venait quelques jours après un autre discours remarqué de l’ancien chef conservateur sur la question de l’ingérence chinoise dans l’élection fédérale de 2021. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) avait informé M. O’Toole que son parti et lui-même avaient été ciblés par la Chine. Un discours qui démontrait qu’on pouvait parler de ce sujet sérieusement et sans tomber dans la partisanerie.

La dignité de M. O’Toole au cours de ses derniers jours à la Chambre des communes est d’autant plus remarquable qu’il a été évincé de son poste de chef du parti dans l’atmosphère toxique du convoi des camionneurs qui a paralysé la ville d’Ottawa, au début de 2022.

On lui reprochait le recentrage de la plateforme conservatrice pendant la campagne électorale et son caucus lui a retiré sa confiance par un vote de 73 contre 42, ce qui ne lui laissait guère d’autre choix que de démissionner.

Tout ce débat et la démission de M. O’Toole laissaient déjà présager l’élection de Pierre Poilievre avec près de 70 % des voix, lors de la course au leadership qui devait suivre.

Et depuis qu’il est chef, M. Poilievre semble avoir adopté toutes les pratiques que son ex-chef dénonçait dans son discours de lundi et il ne donne aucune indication qu’il puisse adopter des positions ou des attitudes plus modérées. Clairement, M. Poilievre semble penser que la situation économique difficile et l’usure du pouvoir du gouvernement Trudeau après trois mandats seront suffisants pour le conduire à la victoire.

Mais, en politique, les choses sont rarement aussi simples.

Le Québec est un sérieux problème pour M. Poilievre. Le fait qu’il soit plus parfaitement bilingue que tout autre chef conservateur depuis Jean Charest ne fera pas foi de tout. Les sondages indiquent actuellement un appui populaire significativement plus bas que les 18,6 % obtenus par M. O’Toole et ses députés québécois, fatalistes, disent qu’ils sont maintenant habitués à gagner leurs élections seuls et malgré leur chef.

De même, les incendies de forêt de ce printemps dans pratiquement toutes les régions du Canada ont rappelé la réalité des changements climatiques, alors qu’on attend toujours une véritable politique du Parti conservateur sur la question. À part de répéter qu’il abolirait la taxe sur le carbone instaurée par le gouvernement libéral, M. Poilievre semble soigneusement éviter la question.

Il lui semble plus important de s’indigner de choses qui ne feront recette que chez ceux qui sont déjà convaincus. Comme de critiquer les images du nouveau passeport canadien, d’exiger que Paul Bernardo soit retourné dans une prison à sécurité maximale. Ou d’annoncer en grande pompe qu’il allait empêcher l’adoption du budget. Un filibuster qui s’est résumé à un seul discours de quelques heures.

Pendant ce temps, sur la question pourtant fort importante de l’ingérence étrangère au Canada, M. Poilievre a passé le plus clair de son temps à décrire l’ancien rapporteur spécial David Johnston comme « l’ami de ski de Justin Trudeau » que de se prononcer sur le fond du dossier.

Qu’il le veuille ou non, M. Poilievre devra prendre position sur plusieurs questions fort importantes au cours des prochains mois. Parce que si personne ne s’attend à des élections cet automne, le gouvernement reste minoritaire et – malgré l’entente entre les libéraux et le NPD – il n’est pas du tout impossible que les Canadiens soient appelés aux urnes quelque part en 2024.

Et il se peut bien qu’à ce moment, il y aura des conservateurs pour regretter la sagesse de leur ancien chef.