Votre premier réflexe sera de dire que le gouvernement est tombé sur la tête. Mais attendez, une hausse des tarifs de garderie à 15$ est peut-être la solution la moins coûteuse pour les familles, la plus équitable et la moins complexe. Voici pourquoi.

D'abord, il faut se rendre à l'évidence: le gouvernement du Québec a bel et bien l'intention de puiser plus d'argent dans les poches des bénéficiaires des Centres de la petite enfance (CPE). Il reste à voir comment il s'y prendra pour minimiser l'impact auprès des familles de la classe moyenne.

Jusqu'à maintenant, deux scénarios ont été discutés: le tarif uniforme de 9$ par jour proposé par le Parti québécois (PQ), qui n'a soulevé aucune critique, et le scénario de tarifs de 8 à 20$ modulés selon le revenu, qui a abouti à des manifestations. Dans ces deux scénarios, les tarifs ne donnaient aucunement droit au généreux crédit d'impôt dont bénéficient les parents des garderies privées.

Or, une troisième voie est sur la planche à dessin. Le gouvernement libéral envisage maintenant de hausser les tarifs à 15$ par jour mais, en contrepartie, les parents auraient droit à une partie du généreux crédit d'impôt offert pour les garderies privées non subventionnées.

Fait très important: ce crédit varie fortement en fonction des revenus. Autrement dit, grâce à ce crédit, les parents de la classe moyenne pourraient récupérer presque 90% de la hausse et les plus fortunés, environ le quart. En somme, c'est une modulation des tarifs, mais sans la complexité des différents tarifs dans les CPE. Et son impact net pourrait être moindre que le scénario du PQ largement accepté par la population, soit une hausse de 2$ par jour.

50 millions du fédéral

Outre sa simplicité et son caractère équitable, le grand avantage de ce scénario est la contribution du fédéral. En effet, plus les tarifs de garderie sont élevés, plus les familles peuvent réclamer une forte déduction au fédéral. Par exemple, avec un tarif à 7,30$, une famille gagnant 100 000$ peut récupérer seulement 1,90$ du fédéral dans sa déclaration de revenus. Avec un tarif à 15$, la récupération grimpe à 3,90$ (1). Pour l'ensemble des familles avec des enfants en garderie subventionnée, cette différence est énorme, soit environ 50 millions.

Selon mes renseignements, le gouvernement du Québec cherche à récupérer à peu près 160 millions par année de son réseau de garderies. Toutefois, grâce à ce phénomène de déduction fédérale, l'impact net pour les familles ne serait pas de 160 millions, mais plutôt de 110 millions. Il s'agit, à peu de choses près, du même montant que le PQ cherchait à récupérer en proposant une hausse de 2$, à 9$.

Pour illustrer l'impact d'un tarif à 15$, j'ai pris l'exemple d'une famille de deux enfants dont les deux membres du couple gagnent leurs revenus à parts égales. Mes calculs présument que les parents de CPE auraient droit à 55% du crédit d'impôt provincial dont bénéficient les parents des garderies privées. Ces calculs sont évidemment approximatifs, mais ils donnent une bonne idée de l'impact.

Ainsi, une famille qui gagne 80 000$ se retrouverait avec un tarif de garderie oscillant autour de 6,75$ par jour, une fois soustraits la déduction fédérale et le crédit d'impôt québécois. Autrement dit, la hausse serait de seulement 1$ par rapport au tarif réel actuel. Irait-on manifester pour 1$? Pour une famille bien nantie, qui gagne 200 000$, le tarif net serait d'environ 9$ et la hausse nette, de 3,55$.

Fait à préciser, avec la table actuelle de crédits d'impôt québécois, l'impact ne serait pas négligeable pour les familles à très faibles revenus, puisque ces familles ne paient pas d'impôt au fédéral et ne pourraient donc bénéficier d'une déduction. Le gouvernement devrait probablement ajuster sa table de crédits, ce qu'il n'exclut pas de faire, selon mes informations.

Autre problématique: la liquidité des budgets familiaux. Les déductions et crédits d'impôt sont généralement versés à la fin de l'année d'imposition, et certains ménages ne peuvent attendre jusque-là. Il existe toutefois deux mécanismes pour contourner ce problème. D'abord, les employés peuvent demander à leur employeur de diminuer les déductions à la source de leurs payes. Ensuite, d'autres peuvent réclamer au gouvernement des remboursements anticipés, ce que font déjà les parents d'enfants en garderie privée.

Bref, une hausse des tarifs de garderie à 15$ n'est pas farfelue. Il s'agirait d'une solution efficace, équitable et relativement abordable. Néanmoins, il n'est pas clair que la population acceptera une telle hausse, puisque même si elle est faible au bout du compte, elle paraît très importante à première vue. Or, les politiciens n'aiment pas froisser leurs électeurs, et les partis d'opposition chercheront à en retirer des avantages politiques. L'idée vaut tout de même la peine d'être explorée.

(1) Il s'agit d'un scénario où les revenus des deux membres du couple avec deux enfants sont égaux et qui tient compte de l'impact sur la Prestation fiscale canadienne pour enfants.