On ne peut pas fermer les yeux. On ne peut pas ignorer le sentiment d'une vaste partie de la population mondiale, qui décide de mettre son X à côté du nom d'un candidat populiste.

La désinformation joue un rôle inquiétant, certes, et le mouvement fait peur. Malheureusement, il faut se rendre à l'évidence : l'extrême droite gagne en popularité. Et elle se manifeste de façon démocratique.

Les Autrichiens ont récemment accordé 47 % d'appui à Norbert Hofer, tandis que divers partis populistes de droite en Suisse (29 %), en Italie (27 %), en Pologne (25 %) et au Danemark (21 %) ont tous attiré plus d'un électeur sur cinq depuis deux ans. Et on ne parle pas du populiste Donald Trump...

Aujourd'hui, même si la France choisira sans doute le centriste Emmanuel Macron, il faudra retenir que l'extrémiste Marine Le Pen, malgré ses demi-vérités, malgré son agressivité, aura réussi à séduire une énorme proportion de Français, probablement plus de 35 %. Déroutant...

Et la partie n'est pas terminée : aux élections législatives françaises des 11 et 18 juin, les candidats n'ont pas besoin d'une majorité absolue pour être élus. Après deux tours, le plus populaire l'emporte. Or, la candidate du Front national (FN) a été la plus populaire dans 216 des 577 circonscriptions au premier tour de la présidentielle. Selon les pronostics, le FN pourrait donc obtenir 100 députés aux législatives, bien au-delà de son sommet de 35 en 1986... et des 2 députés de 2012.

Rappelons ce que prône le FN : fermeture des frontières, rétablissement de la peine de mort, inversion du flux migratoire maghrébin, protectionnisme économique, priorité aux Français de souche... De mon vivant, jamais je n'aurais pensé sentir les mêmes relents d'intolérance qui planaient avant la Seconde Guerre mondiale.

Chaque pays - et même chaque électeur - a ses propres raisons de pencher pour les extrêmes. Certains sont antimondialisation, notamment parce que ce mouvement provoque certains transferts d'emplois à faible valeur ajoutée vers des pays à bas salaires. D'autres sont antiélitistes.

Un credo apparaît cependant commun aux extrémistes : le rejet de l'immigration, et plus spécifiquement des immigrants musulmans.

Ces immigrants sont vus comme la cause prétendue de bien des maux. Le sentiment est exacerbé en France en raison des récents attentats terroristes et d'un chômage qui demeure très élevé depuis la crise de 2008 (deux fois celui de l'Allemagne ou du Royaume-Uni).

M'est avis que la stagnation économique de l'Hexagone a bien davantage à voir avec la rigidité de son modèle dans un monde où tout change très rapidement. La moindre proposition soulève des tollés. La France est figée dans son passé, pendant que les autres avancent.

Maintenant, que faire devant la montée de l'extrême droite ? Comment gérer la situation pour empêcher qu'elle ne dérape davantage et qu'elle ne se répande au Canada, notamment ? Grande question.

Le Canada a la chance d'avoir une économie florissante, flexible, ouverte, et des finances publiques en bon état. Le Canada et le Québec sont également maîtres de leur flux migratoire, contrairement aux pays européens, notamment soumis à l'espace Schengen de libre circulation des personnes. De plus, nous n'avons pas à gérer ici les vagues de réfugiés apparues en Europe, notamment avec le conflit syrien.

Le pays n'est pas à l'abri du populisme pour autant. Le terreau est fertile. Un récent sondage révélait qu'une grande proportion de Québécois sont désabusés et ne font plus confiance aux médias et aux partis politiques.

Certains groupes commencent à se manifester ouvertement et des incidents sont rapportés sporadiquement au Québec et en Ontario, notamment. Et il y a eu Alexandre Bissonnette...

Que faire ? Il faut continuer par tous les moyens d'améliorer l'intégration des immigrants sur le marché du travail, diminuer leur sous-emploi et prêcher l'ouverture. De cette capacité d'accueil dépend notre seuil d'immigration.

Les autorités doivent aussi, néanmoins, tracer certaines balises fondamentales. Au Canada, il devrait être clairement interdit de prononcer le serment de citoyenneté le visage voilé. Le geste serait symbolique, puisqu'une infime minorité porte le niqab ou la burqa, mais il enverrait un puissant message et rassurerait une certaine population outrée.

La religion, notamment les lieux de prières, devrait aussi clairement rester en dehors des institutions publiques, notamment des établissements d'enseignement.

Bref, il faut vacciner le patient pour le protéger contre le virus de l'intolérance. Et il faut le faire avec l'aide et l'ouverture de la communauté musulmane.

Le Québec a malheureusement manqué une belle occasion de clore le débat en interdisant le port des signes religieux chez les agents de l'État exerçant un pouvoir de coercition, comme le proposait le rapport Bouchard-Taylor. L'adoption de ce consensus raisonnable aurait permis d'éviter que certaines questions enflamment de nouveau les débats aux prochaines élections.

Que faire ? Grande question. Chose certaine, ignorer le sentiment exprimé démocratiquement d'une part croissante de la population n'est pas la solution.