On s'entend, la joute politique n'est pas une partie de golf. Le jeu est brutal, et la défaite, dévastatrice. Ce qui n'excuse pas du tout la grossièreté manifestée par Pauline Marois envers ses successeurs.

Alors que la rencontre en face à face qui marque symboliquement la transition se fait normalement dans les 48 heures suivant le scrutin, Mme Marois a fait poireauter Philippe Couillard pendant une semaine. C'était du jamais vu.

J'ai couvert l'entrevue entre Robert Bourassa et René Lévesque, au lendemain de la victoire péquiste de 1976. M. Bourassa, frappé de plein fouet, avait les yeux rouges, mais c'est avec grâce qu'il avait reçu son successeur. Et que dire de M. Lévesque, le soir de la défaite référendaire de 1980? Aucun blâme, aucune colère... En 2012, Jean Charest, qui venait de subir le même double choc que Mme Marois (soit la défaite de son parti et sa défaite personnelle dans son comté), avait assuré la transition avec la plus grande courtoisie.

L'équipe de M. Couillard a eu toutes les misères du monde à rencontrer les membres du cabinet de Mme Marois, pour la transmission des dossiers gouvernementaux. Cela ne s'est fait qu'à la toute veille de la nomination du conseil des ministres! Ces délais anormaux étaient-ils dus à la mauvaise foi? Au désir de camoufler quelque chose? À la désorganisation pure et simple?

Et voilà qu'on apprend que la première ministre sortante a fait vider les trois bureaux dont elle disposait dans la circonscription de Charlevoix. Et en plus, les lignes téléphoniques avaient été coupées!

Fatima Houda-Pepin et Denise Trudel de la CAQ, comme en son temps la conservatrice Josée Verner, ont manifesté la même mesquinerie en vidant tous leurs classeurs, ce qui forcera certains électeurs à reprendre leurs démarches à partir de zéro, et privera les nouveaux députés d'informations sur le comté. Venant de Mme Houda-Pepin, cette attitude vindicative est encore pire, car elle avait été députée pendant deux décennies. En jetant tous les dossiers à la déchiqueteuse, elle a effacé 20 ans de l'histoire du comté. Son successeur, le Dr Gaétan Barrette, a raison de la blâmer en soulignant que «lorsqu'un médecin prend sa retraite, il transfère ses dossiers de clientèle à son successeur».

Mme Houda-Pepin se défend en disant qu'elle était liée à ses électeurs par des ententes de confidentialité. Foutaise. D'autres députés défaits, comme le caquiste Sylvain Lévesque, ou le péquiste Léo Bureau-Blouin, ont laissé un bureau en ordre. «Les citoyens doivent être au-dessus de nos déceptions personnelles», a déclaré M. Lévesque avec sagesse.

On savait que Léo Bureau-Blouin était un garçon bien élevé. Il l'a démontré une fois de plus en laissant à son successeur, en deux piles distinctes, les dossiers complétés et les dossiers non réglés. Pour ce qui est du respect de la confidentialité, il y avait vu à l'avance en faisant signer aux citoyens qui requéraient son intervention un formulaire de consentement au transfert éventuel des informations confidentielles. M. Bureau-Blouin avait lui-même souffert de ce qu'il appelle «la politique de la terre brûlée» en découvrant, une fois élu, que tous les dossiers de la circonscription avaient disparu.

Son successeur, le libéral Saul Polo, l'a publiquement remercié pour cette transition harmonieuse en ajoutant que «tout au long de la campagne, nos échanges ont toujours été respectueux. Il disait vouloir faire de la politique autrement, et il a tenu parole.»

Voilà une attitude qui devrait servir de leçon aux députés qui font passer leur ressentiment personnel avant les intérêts de leurs électeurs. Dommage qu'elle leur soit servie par celui qui fut le plus jeune député de l'histoire... ce qui prouve bien que la maturité n'est pas une question d'âge.