Je vais presque toujours voir les pièces de Wajdi Mouawad. Parce que j'aime sa façon poétique de confronter les idées reçues.

Je vais presque toujours voir les pièces de Wajdi Mouawad parce que la densité de son oeuvre me fascine. Et que sa manière baroque et tragique de tracer son sillon, en approfondissant chaque fois les mêmes thématiques, m'inspire.

Je vais presque toujours voir les pièces de Wajdi Mouawad parce que c'est un artiste qui ne craint pas la réflexion ni le choc des idées. Un trublion qui remet en question l'ordre établi.

J'aime Wajdi Mouawad parce qu'il porte la plume dans la plaie. Même s'il m'exaspère parfois, quand il sermonne, qu'il dramatise, qu'il broie du noir. La vie n'est pas que Beyrouth sous les bombes.

Je vais presque toujours voir les pièces de Wajdi Mouawad. Mais je n'irai probablement pas voir la trilogie Des femmes de Sophocle, dans une mise en scène de Mouawad au Théâtre du Nouveau Monde, la semaine prochaine.

Pas parce que Bertrand Cantat devait interpréter les choeurs sur scène. Précisément parce qu'il ne le fera pas.

En juillet 2003, au terme d'une violente dispute dans un hôtel de Vilnius, en Lituanie, Bertrand Cantat a tué sa compagne, l'actrice Marie Trintignant. L'ex-chanteur de Noir Désir a été condamné pour son crime et a purgé sa peine.

Sa sentence a été jugée trop clémente par bien des Québécois qui, en apprenant la nouvelle de sa présence dans la pièce de Mouawad, ont eu un réflexe de rejet viscéral. Un tueur de femme qui interprète les choeurs du cycle Des femmes. La symbolique, provocatrice, a semblé trop chargée pour plusieurs.

Dans la foulée de la contestation, le gouvernement conservateur a déclaré que Bertrand Cantat, pourtant venu au Québec à quelques reprises depuis sa libération, n'obtiendrait pas de permis de séjour au Canada. Il a été décidé en conséquence qu'il ne foulerait pas les planches du TNM.

C'était il y a un an. Samedi prochain, le cycle Des femmes sera présenté à Montréal, tel que prévu, sans Bertrand Cantat. D'aucuns s'en félicitent. Même si, ironiquement, la trilogie a été mieux accueillie par la critique lorsque Cantat était présent sur scène.

J'interprète l'absence du chanteur à Montréal comme une victoire des censeurs. Lorsqu'une oeuvre d'art est amputée de l'un de ses éléments, pour des raisons de moralité, il s'agit rarement d'une bonne nouvelle.

Bertrand Cantat est, restera, un tueur. Mais il est aujourd'hui un homme libre. Le droit, lituanien et français, en a décidé ainsi. Il a le droit d'être réhabilité. Il a le droit de recouvrer son statut d'artiste. Il a le droit d'interpréter les choeurs d'une trilogie de Sophocle, dans une mise en scène de son ami Wajdi Mouawad. Et chacun devrait avoir le droit de l'entendre ou pas.

Qu'on me comprenne bien: je ne cautionne d'aucune manière le geste, indéfendable, que Betrand Cantat a fait. Je ne prétends pas qu'il ne faille pas discuter de la décision controversée de Mouawad de l'inclure dans sa plus récente production.

Ce que je regrette, c'est que l'on ait décidé qu'il est préférable que je n'entende pas Cantat chanter. Que l'on ait jugé qu'il était inacceptable que je puisse le voir sur scène. Et que l'on m'empêche d'apprécier la mise en scène de Mouawad telle qu'elle a été imaginée et conçue, dans son intégrité, sans compromis.

Je n'irai pas voir la trilogie Des femmes. Parce que je refuse les diktats d'une société infantilisante. Que je crois à la réhabilitation des criminels. Et que je n'ai pas envie, d'aucune manière, de cautionner la censure.