Il y avait Dédé. Et il y avait son double. Il fallait entendre tous les artisans du film Dédé à travers les brumes, hier, parler d\'André Fortin en conférence de presse. Tout pour André. Rien pour Dédé. Coïncidence?

Il y avait Dédé, l'artiste populaire que tout le monde connaissait. Et à travers les brumes, semble-t-il, il y avait André, un être hors du commun, aussi brillant que tourmenté, que peu de gens ont vraiment connu.

«C'était une ligne à haute tension», a dit de lui Sébastien Ricard, qui incarne le leader des Colocs avec une acuité remarquable dans le film à fleur de peau de Jean-Philippe Duval.

«Le Québec en entier se sent très proche d'André Fortin, a-t-il ajouté. Il fait partie de la famille.» C'est sans doute pour cette raison que tant de journalistes, de la musique comme du cinéma, étaient présents au cinéma Ex-Centris, hier matin, pour assister à la projection de presse de Dédé à travers les brumes, qui doit prendre l'affiche le 13 mars.

Comme Sébastien Ricard, je n\'étais pas fan des Colocs au départ. Avant Dehors novembre, j'étais resté parfaitement insensible à la poésie de Dédé Fortin. Les Colocs étaient pour moi un party band, amusant, coloré, sans conséquences.

Je n'ai pas connu Dédé Fortin. Je ne lui ai parlé qu'une seule fois, brièvement, il y a 15 ans, au téléphone. «Rencontre-moi à 11 h au Doux Paradis, m'avait-il dit. C'est un greasy spoon à l'angle de Sherbrooke et de Saint-Laurent. Tu peux pas le manquer: y'a une grosse pancarte de Kit-Kat juste au-dessus de la porte.»

Je l'ai attendu une heure, fin seul sur une banquette huileuse, en mangeant du pain doré dégueulasse. Il n'est jamais venu. Le journal attendait mon papier. J'ai dû rédiger une entrevue sans interviewé.

Dédé a prétexté sur mon répondeur un lendemain de brosse qui déchante. Je l'ai écrit. Il m'a envoyé promener sur scène. Fin de l'anecdote.

Je n'étais pas fan des Colocs. Il a fallu Dehors novembre, chanson magnifique sur la mort lente de l'harmoniciste Patrick Esposito di Napoli, pour que je prenne enfin la mesure du talent, immense, de Dédé Fortin. «J'attends un peu. J'suis pas pressé. J'attends la mort.»

Cette chanson déchirante, réinterprétée d'étonnante manière par Sébastien Ricard, donne vie au moment de cinéma le plus émouvant de Dédé à travers les brumes, un film qui intègre habilement quelques séquences d'animation «à la manière de» Dédé, et fait une large place à la musique des Colocs.

«Le but premier était d'intégrer les chansons dans un récit dramatique, dit Jean-Philippe Duval, qui a construit son film comme une trame sonore. Mais réduire les chansons d'André à un testament serait terrible.

Ce n'est pas ça.» En effet. Sébastien Ricard m'avait fait bonne impression sur le plateau de tournage du film en mai dernier. Dans le costume de vacancier swing de Dédé, dansant la claquette en chantant Julie d'une voix imitant à s'y méprendre celle de Fortin. Du bar à l'arrière du Métropolis, transformé pour l'occasion en Spectrum un soir de printemps 1995, l'illusion était presque parfaite. Cette impression a été confirmée hier. Ricard «incarne» le personnage de Dédé, dans le meilleur sens du terme.

Embargo critique oblige, je ne peux vous dire ce que j'ai pensé de Dédé à travers les brumes. Mais j'ai le sentiment que ce film - qui n'est pas sans défauts - aura un impact. Il pourrait entre autres relancer le débat sur la représentation du suicide. Si Dédé Fortin n'était pas mort il y a presque neuf ans, de terrible manière, un long métrage de fiction ne serait pas consacré à sa vie aujourd'hui. Ce n'est pas du cynisme, c'est la triste réalité.

On le sait, Dédé Fortin, qui était obsédé par le cinéma japonais, s'est fait hara-kiri. Le film de Jean-Philippe Duval n'élude pas la question, qui est abordée très tôt dans le récit. Son suicide n'est pas présenté comme un geste héroïque, mais comme une fin prématurée.

Celle d'un artiste inspiré, Dédé, qui venait de connaître l'état de grâce avec un album d'anthologie. Celle d'un homme torturé, André, qui le vague à l'âme, pressé par la mort, a tourné le dos à la vie. L'histoire d'un beau gâchis.

Précision

Dans une chronique publiée vendredi, je laissais entendre que l'émission Le moment de vérité pourrait être sacrifiée de la grille du samedi de Radio-Canada. Il semble que l'émission animée par Patrice L'Écuyer sera bel et bien de retour la saison prochaine. Une bonne nouvelle. «Par contre, il est encore trop tôt pour confirmer si la diffusion de cette émission demeurera le samedi», précise Radio-Canada.