Il y a de la houle à Excentris. Le célèbre cinéma du boulevard Saint-Laurent, qui a rouvert ses portes il y a exactement un an, peine à retrouver son public. Et des guerres intestines minent son conseil d'administration.

Claude Chamberlan, le visage du cinéma Parallèle (désormais propriétaire d'Excentris) depuis 45 ans, a été destitué de ses fonctions de membre du conseil d'administration il y a trois semaines.

Chamberlan, qui a perdu sous la nouvelle administration du Parallèle son rôle de consultant à la programmation, conservera son titre de cofondateur, assure la direction d'Excentris. Comme si l'on pouvait retirer à un fondateur son acte de fondation...

Claude Chamberlan a réagi vivement à sa destitution cette semaine. Il a accusé la direction d'Excentris d'être gangrenée par l'opportunisme, le favoritisme et les conflits d'intérêts, tout en regrettant son manque de vision et son incapacité à insuffler une âme aux locaux du boulevard Saint-Laurent.

Il y a, de toute évidence, un conflit de personnalités (très fortes) entre Claude Chamberlan et le président du conseil d'administration d'Excentris, Christian Yaccarini, à la tête de l'organisme sans but lucratif qui a racheté les salles de cinéma du complexe à Daniel Langlois. Je ne m'immiscerai pas dans leur guerre d'ego, sinon pour dire qu'il y a du vrai dans ce que dénonce Chamberlan.

Il est vrai qu'Excentris, malgré certains réaménagements (dont l'ajout intéressant d'un comptoir Soupe Soup) est resté froid, peu accueillant et peu convivial. Comme si on avait plaqué un décor de cinéma dans une coquille de béton, sans réussir à l'y intégrer de manière organique. Le comptoir d'accueil du cinéma, au coeur du hall vide d'Excentris, a des allures d'excroissance (sans mauvais jeu de mots).

Le complexe, pour être franc, projette une ambiance de centre commercial futuriste tout en dégageant la chaleur d'un salon mortuaire. On ne le remarquerait sans doute pas autant s'il attirait les foules. Malheureusement, les salles sont souvent presque vides, même pour des films attendus, et le cinéma n'a pas réussi à reconquérir sa clientèle. Combien de fois m'y suis-je retrouvé, depuis un an, un vendredi ou un samedi soir, en compagnie de deux pelés et trois tondus?

Est-ce catastrophique, comme le prétend Claude Chamberlan? Ce n'est certainement pas une bonne nouvelle. La fermeture partielle d'Excentris (seule la petite salle du Parallèle avait été épargnée) pendant plus de deux ans a porté un dur coup à la cinéphilie. Des habitudes ont été brisées. On se demande avec le recul si l'on n'a pas tué à l'époque la poule aux oeufs d'or, en décimant une bonne partie du poulailler.

Aujourd'hui, selon la direction, la fréquentation des salles d'Excentris n'est plus que de 12%. Et devrait être de 19% si le complexe veut rentrer dans ses frais. Les déficits s'accumulent, sans mécène pour les éponger (ce qu'a fait Daniel Langlois pendant des années). Et on se demande si le projet de deux salles additionnelles verra le jour.

Il n'y a pas que les habitudes bousculées des cinéphiles qui sont à blâmer pour la situation précaire du cinéma. La programmation d'Excentris, si originale à ses débuts, ne se démarque plus tellement du lot. On y retrouve, assez souvent, des films programmés ailleurs. On ne sent plus chez les cinéphiles l'urgence de se rendre à l'ancien temple de la Main, les yeux fermés, pour découvrir des exclusivités. On ne va pas à Excentris pour voir Anna Karenine de Joe Wright (à l'affiche dans quelques semaines).

Il faut relever la barre, chercher les perles rares, sortir des sentiers battus, conclure de nouvelles alliances avec les distributeurs. D'excellents films ne prennent jamais l'affiche chez nous. Je pense par exemple au plus récent long métrage de Paolo Sorrentino, This Must Be The Place (2011), avec Sean Penn dans le rôle d'un pseudo Robert Smith traquant le tortionnaire nazi de son père. Le verra-t-on un jour?

En se privant de Claude Chamberlan, la direction d'Excentris se prive des conseils d'un cinéphile certes imprévisible et erratique, mais au flair hors du commun. Elle se prive aussi d'un programmateur qui a, encore aujourd'hui, des entrées partout dans le monde.

Évidemment, Claude Chamberlan n'est pas toujours reposant. C'est un passionné qui ne mâche pas ses mots. Un libre penseur, un «trouble shooter» comme il le dit lui-même. C'est à la fois ce qui fait son charme et ce qui le rend ingérable.

Chamberlan n'est pas sans défaut, tant s'en faut. Je ne lui confierais pas mes économies. Je comprends qu'on puisse perdre patience en sa compagnie. Il s'est désolidarisé du conseil d'administration d'Excentris en s'attaquant à son président, qu'il accuse de bien des maux. Mais jamais publiquement, que je sache, et avec des craintes qui, fondées ou pas, sont légitimes. Reprocher à ce fou de cinéma au tempérament échevelé ses absences à des réunions de C.A., pour mieux s'en débarrasser, me semble risible.

Plutôt que de tirer sur le messager parce qu'il a osé agiter le drapeau rouge, plutôt que d'écarter celui qui incarne l'âme du Cinéma Parallèle depuis ses débuts, en tentant de museler sa voix discordante, la direction d'Excentris devrait se concentrer sur les mesures à prendre afin d'assurer sa pérennité. C'est la cinéphilie montréalaise qui, en partie, en dépend.