Jean-Paul L'Allier, qui a été maire de Québec pendant 16 ans, n'a pas envie de jouer les gérants d'estrade. Vous ne l'entendrez donc pas parler du projet d'amphithéâtre de Régis Labeaume et pas plus des projets montréalais du moment, comme la transformation de Griffintown, des anciens terrains de Blue Bonnets et de la gare de triage d'Outremont. Mais de ses années à l'hôtel de ville de la capitale provinciale, il a tiré de nombreuses leçons sur le développement urbain. Et il n'hésite pas à les partager, comme il l'a fait le week-end dernier dans sa ville, dans le cadre du congrès annuel de l'Association des architectes paysagistes du Québec.

Peu avant sa présentation, je l'ai rencontré. On a discuté de Québec et de Montréal, de sa recette de tartare qu'il devait s'empresser d'aller préparer pour le souper, après la table ronde.

L'homme politique est généreux, serein, toujours actif puisqu'il préside notamment Mission Design, un organisme qui cherche à promouvoir le design comme allié du développement économique. S'il avait eu du talent en dessin, confie-t-il, il serait «peut-être devenu architecte». Il est fasciné par les professions d'urbaniste, de designer, de créateur... «J'aime ces métiers qui mettent la beauté au service de la qualité du développement urbain.»

De tous les projets qu'il a menés lorsqu'il était à la direction de la Ville, celui dont il est le plus fier est la transformation du quartier Saint-Roch, ancien centre-ville de Québec devenu dans les années 80 un des quartiers pauvres et malmenés de la capitale, vidé de son activité économique par les centres commerciaux de banlieue. Difficile de ne pas penser à certains quartiers de Montréal quand on l'entend expliquer comment il a procédé pour lancer le renouveau et quelles leçons il a tirées de l'expérience.

D'abord, avant de tout amorcer, M. L'Allier a décidé de consulter l'urbaniste et architecte torontois réputé Kenneth Greenberg, connu pour la relance du quartier St. Lawrence, dans la métropole ontarienne, qui est venu faire un état des lieux avec lui, sur place. «Ce qu'il m'a expliqué, c'est très simple, c'est que si on veut compenser la disparition des grands commerces, il faut ouvrir autre chose.»

Les citoyens doivent trouver en ville une expérience qui n'a rien à voir avec ce qui est offert dans les zones commerciales des périphéries. Un DIX30 urbain? Mauvaise idée.

De plus, autre leçon, «on ne peut demander ni aux victimes ni aux complices de la détérioration des lieux d'en être les rénovateurs». On va donc chercher d'autres acteurs, pour que le nouveau développement soit notamment attrayant pour les jeunes, ceux qui réinsuffleront la vie dans le quartier relancé. Surtout que «la clé, c'est la mixité». La mixité des commerces, des résidants. La Ville doit absolument s'assurer qu'il y ait de la place pour tout le monde, dont les étudiants, les artistes, les personnes âgées. À Québec, la mairie a acheté des terrains à Saint-Roch qui ont été construits et vendus à des coopératives.

Aussi, toute une zone sous l'autoroute a été confiée à des artistes, l'Îlot fleuri, une expérience qui a su guérir un problème récurrent de graffiti.

«La fierté, note M. L'Allier, c'est le moteur du développement d'une ville.» Une fierté que tous doivent partager. Grands commerçants autant que jeunes étudiants sans le sou. Mais le développement ne peut se faire de façon bucolique. Il faut des promoteurs qui participent au développement intelligent. Et il faut les écouter, eux aussi. M. L'Allier est par exemple déçu du rejet récent par la population d'un projet rue Saint-Jean selon lequel un immeuble résidentiel aurait été partiellement occupé par des appartements privés et partiellement par une coopérative. «On avait une belle mixité», note-t-il avant d'ajouter qu'il ne faut pas «trop tirer sur l'élastique» et que, dans ce cas, les promoteurs s'étaient montrés très conciliants.

Comme l'ancien maire culte de la ville brésilienne de Curitiba Jaime Lerner, M. L'Allier est un partisan de réalisations qui injectent de l'énergie au développement, ce que M. Lerner appelle l'acupuncture urbaine. «Il est important de ne pas tout faire en même temps et de terminer les projets. Il faut que les gens voient les travaux finis.» Car la satisfaction permet ensuite l'adhésion aux prochains gestes. Parfois, on peut même commencer par une portion du plan, c'est ce que M. L'Allier a fait avec la transformation des berges de la rivière Saint-Charles.

En ce moment, Montréal croule sous les immenses exercices à long terme, mais personne ne voit le bout du tunnel. Turcot, Champlain... (En passant, l'ancien maire trouve aberrant que le pont soit de compétence fédérale. Provincial, alors? Non plus. «Un pont, c'est un objet urbain! lance-t-il énergiquement. C'est un acte de création de la ville.»)

Quand le maire a commencé à tenir ce discours pro-design, pro-architecture, pro-urbanisme, pro-beauté, plusieurs l'ont regardé avec scepticisme. Certains ont parlé d'élitisme.

«Mais l'élitisme, note M. L'Allier, c'est quand on fait du beau pour soi-même et qu'on le garde pour soi. Ce n'est pas de l'élitisme quand ce qu'on fait, c'est pour être partagé par tous.»