«Les antibiotiques, c'est la paresse.»

L'homme au bout du fil n'est pas exactement connu comme une figure de proue du mouvement écolo ou comme un militant notoire contre l'industrialisation de l'agroalimentaire. Ce n'est pas non plus un médecin ou un vétérinaire.

C'est Jean-Pierre Léger, président de la chaîne de rôtisseries St-Hubert.

Mais les antibiotiques dans le poulet, ceux que l'industrie utilise de façon curative, il connaît. Et il n'en raffole pas. Voilà des années, dit-il, qu'il cherche à trouver une façon de s'en débarrasser. Sauf qu'il n'y parvient pas.

Le dossier de La Presse publié mardi au sujet des antibiotiques donnés aux animaux d'élevage et qui ont des effets néfastes sur la santé humaine, notamment parce que cette pratique aide bactéries et virus à accroître leur résistance aux traitements, il l'a lu.

«Il y a quelques années maintenant qu'on fait des essais parce que je l'ai demandé. Mais même si les essais sont concluants, on ne voudra pas m'en faire», dit-il, en parlant des producteurs de poulet.

Même s'il voulait, demain matin, vendre des poulets sans antibiotiques dans ses restaurants, il ne le pourrait pas.

Selon M. Léger, le problème se résume ainsi.

D'abord, produire du poulet sans antibiotiques coûte plus cher qu'avec des antibiotiques. «Ça prend plus d'efforts, plus de travail. Il faut la foi.» L'intensité des élevages doit diminuer et on doit notamment accepter de perdre plus de bêtes.

Mais la chaîne de restaurants serait prête à encaisser l'augmentation à la caisse, estime M. Léger. «S'il y avait des poulets disponibles sans antibiotiques, je paierais la prime.» Quelques cents le kilo seulement, croit-il.

Mais pour cela, il faudrait que tout le monde s'y mette. Or, producteurs, acheteurs et détaillants sont-ils prêts? Voilà l'autre volet au problème.

Actuellement, aucun producteur de poulet sans antibiotiques, même en Ontario, n'en produit suffisamment pour subvenir aux besoins de la chaîne. Par semaine, les St-Hubert mangent - littéralement - 130 000 oiseaux. Et pour que 130 000 poulets de 1,6 kg précisément, puisque c'est là la norme des restaurants, soient prêts à passer au gril, il faut en élever 600 000, dont 470 000 plus gros ou plus petits devront nécessairement être écoulés ailleurs.

Bref, pour que St-Hubert puisse avoir son poulet, il faudrait qu'une très grosse portion du marché se convertisse elle aussi au sans antibiotiques. Est-on prêt à un tel changement?

«La seule chose que j'ai réussie, avec les années, c'est d'obtenir des producteurs des poulets refroidis à l'air, parce que j'ai menacé d'aller acheter mes poulets en Ontario», dit l'homme d'affaires. L'industrie, solidement encadrée par un système public de gestion de l'offre, comme le lait et les oeufs notamment, et que M. Léger appelle le «cartel du poulet», est un paquebot qui ne change pas facilement de cap.

Dans un monde idéal, dit le restaurateur, le marché canadien pourrait être fermé aux importations - «acheter des produits qui viennent de loin, ce n'est pas bon pour toutes sortes de raisons, dont des raisons écologiques», dit-il -, mais la gestion de l'offre interne devrait, elle, être libéralisée, pour permettre à plus d'acteurs d'embarquer, pour encourager la souplesse, l'expérimentation, la variété et peut-être aussi pour permettre une nouvelle dynamique de marché devant la demande de poulet sans antibios...

Actuellement, trouver un tel poulet dans les épiceries n'est pas impossible, mais ce n'est pas facile. On peut essayer d'en dénicher dans de bonnes boucheries. Ou alors trouver un microproducteur qui vend quelques poulets à ses voisins, puisque lorsqu'ils élèvent moins de 100 bêtes, les éleveurs ne sont pas inclus dans le cadre de la gestion de l'offre. Mais de telles volailles coûtent souvent très cher comparativement au poulet industriel dont les prix sont abaissés par les méthodes comme... les antibiotiques.

Sans transformer notre marché de la volaille - et des oeufs et du lait - en «far west» agricole, n'y aurait-il pas moyen de le dynamiser un peu plus? De le décoincer?

Quand même St-Hubert, malgré sa volonté, n'arrive pas à acheter du poulet sans antibiotiques ou à acheter du poulet dont on ne peut pas garantir qu'il n'a pas été nourri aux farines animales - comme il lui est arrivé il y a quelques mois -, n'est-ce pas signe qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans notre système?